Le tresor de l'indomptable
morceau de pain. Il entreprit de se restaurer à grand bruit.
— Un combat naval sanglant ! commenta-t-il entre deux bouchées.
— Y a-t-il eu des survivants ?
— Oh oui ! Selon les villageois, Castledene a traité l’équipage de Blackstock comme celui-ci avait traité les siens. Je crois qu’il a pendu les prisonniers, mais il en a peut-être jeté quelques-uns par-dessus bord. Ils pouvaient soit se noyer, soit regagner le rivage à la nage. C’est là que Castledene a commis une erreur. Vous comprenez, Sir Hugh, sur la plupart des côtes, on montre peu de pitié envers les naufragés, mais Blackstock et ses hommes étaient populaires. Un marin a survécu et a reçu de l’aide. Personne ne savait comment il s’appelait. Il était ruisselant et à moitié mort ; on lui a donné de la bouillie chaude, on a séché ses habits et on l’a laissé partir.
— Et L’Indomptable ?
— Emmené et remis aux marchands qui avaient prêté main-forte à Sir Walter.
— Qu’a-t-on fait du corps de Blackstock ?
— Sir Walter Castledene et Paulents triomphaient. Ils se sont abrités dans le bassin d’Hamford, près de Walton on the Naze. Les équipages ont festoyé. La dépouille du pirate a été traînée sur les galets sur une claie attachée à la queue d’un cheval avant d’être accrochée à une potence dans les vasières. On a posté des gardes, on l’a laissée suspendue pour que les oiseaux marins s’en repaissent puis – Vive-la-joie haussa les épaules –, d’après la rumeur publique, on l’a lancée à la mer ; elle a, bien sûr, été privée de toute sépulture. Je peux vous assurer, Sir Hugh, que, ce jour-là, Castledene et Paulents ne se sont pas fait que des amis.
— Et Hubert le Moine ?
— Interrogez Sir Walter Castledene. Hubert se montrait peu, et après le trépas de son frère il a disparu. On ne l’a jamais revu.
Corbett, les yeux rivés sur les flammes, regardait une bûche qui crépitait. Il entendait, dehors, les bavardages et le bruit des Joyeux qui se préparaient pour une nouvelle journée. Quelque part, au loin, des tambourins retentirent. Le magistrat s’aperçut que le temps passait : il devait retourner à St Augustin. Il déboucla son escarcelle, en tira quelques pièces d’argent et les fourra dans la main de son interlocuteur.
— Sir Hugh, pourquoi m’avoir posé ces questions ? Sir Walter vous parlera de tout cela.
— Que nenni, Maître Vive-la-joie, répondit le clerc en lui tapotant l’épaule. Il me dira ce qu’il veut que je sache, alors que vous me narrez ce que vous avez vu et entendu. Connaissez-vous l’origine d’une telle haine ? Pourquoi Blackstock a-t-il pris la mer ? Pourquoi Hubert a-t-il quitté son monastère pour devenir chasseur d’hommes ?
— Ce ne sont que clabauderies, Sir Hugh, des histoires sur leur enfance.
Le regard du magistrat se posa sur la grossière sculpture au-dessus de la cheminée puis fit le tour de la pièce. Drôle d’endroit, pensa-t-il. C’était agréable de rester là, à contempler le feu, pourtant, il ne pouvait ignorer les courants d’air froids qui s’insinuaient et l’impatience de Vive-la-joie : il avait devant lui une journée de travail et avait envie que Corbett s’en aille.
— Nous en arrivons donc à Griskin, reprit-il. Vous saviez qui il était en réalité, n’est-ce pas ? Vous l’avez évoqué à Harbledown.
— Il m’a parlé de ses jours de gloire, quand il était étudiant. J’ai compris qu’il vous appartenait, Sir Hugh. Il allait et venait, libre comme le vent. Il prenait grand plaisir à jouer les lépreux. Il s’amusait de la facilité avec laquelle il pouvait se déplacer ; les hors-la-loi, les forbans eux-mêmes, n’osaient l’approcher. Il est venu dans notre campement et s’est présenté. Il portait un médaillon, tout comme moi, celui que vous nous avez donné pour nous identifier les uns les autres, et il s’est fait connaître. Je serai franc : je l’avais déjà rencontré, mais sous des déguisements différents. En fait, précisa Vive-la-joie en souriant, s’il l’avait voulu, il aurait pu se joindre à notre troupe. C’était un vrai trouvère, un mime qui se plaisait dans ses différents rôles. Il empestait comme un tas de fumier et son visage et ses mains étaient peints et crevassés comme s’il avait souffert d’une effroyable misère. Je l’ai retrouvé hors du camp et lui ai demandé ce qu’il voulait. Il
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