Le tribunal de l'ombre
des réprimandes qu ’ elles n ’ osaient point en notre présence et des éclats de rire en notre absence.
Le Jour de la fête de Saint-Jacques le Majeur, le 24e jour du mois de juillet, après bien des hésitations, je chevauchai vers Sarlat en compagnie de mes écuyers en passant par les Prâts de Carlux et Sainte-Nathalène.
J ’ avais l ’ intention de solliciter une audience auprès de monseigneur Elie de Salignac , qui avait succédé à monseigneur Arnaud de Royard, pour le prier de nous délivrer une lettre de voyage pour notre pèlerinage de Roc-Amadour prévu pour le mois de mai, l ’ an prochain.
Arrivés au carrefour de la Croix d ’ Allon, les premières et hautes fortifications de la ville consulaire, entourées d ’ un large et profond fossé, se dressaient en contrebas dans leur cuvette.
Les créneaux étaient surmontés de puissantes tours aux angles et à l ’ entrée des principales rues. Entre le fossé et les colossales murailles, capables de résister aux plus puissantes machines de guerre, les consuls avaient fait clôturer par une haute palissade une sorte de fausse braie d ’ où il était possible de décoper les éventuels assaillants qui auraient tenté de franchir le fossé.
La cité consulaire était d ’ ailleurs plus facile à défendre que si elle eut été bâtie en plaine. Dans l ’ étroit vallon sarladais, enserrés entre la ville et les coteaux qui l ’ entouraient, les assaillants n ’ auraient pu, à moins de disposer de forces considérables, effectuer en plusieurs points à la fois les indispensables travaux d ’ approche.
Pour creuser une mine et tenter de saper les murs, il aurait fallu, sauf en deux ou trois endroits étroits et marécageux, des côtés des faubourgs de l ’ Endrevie et de la Grande-Rigaudie, creuser dans le roc pour parvenir à un résultat incertain.
Quand bien même les murailles auraient été investies, la cité était ainsi construite que les assaillants risquaient fort d ’ être descharpis par les habitants avant de s ’ en rendre maîtres.
En effet, les rues tortueuses et étroites, les nombreux carrefours permettaient peut-être de mieux repousser une attaque de l ’ intérieur que de l ’ extérieur. Pour peu que les Sarladais eussent voulu se défendre. Les envahisseurs auraient dû lutter dans les pires conditions d ’ infériorité : du haut des maisons aux toits crénelés, il était aisé de balancer sur l ’ ennemi des projectiles de toute espèce : eau bouillante, pierres, madriers de chêne ou de châtaignier, voire de la chaux, de la poix ou du plomb fondu.
Aussi la cité consulaire put s ’ enorgueillir de ne, onques, avoir été prise pendant toute la durée de la guerre.
Les massives portes en bois des faubourgs, bardées de fer et d ’ une solidité à toute épreuve, étaient soigneusement fermées la nuit et les Sarladais pouvaient dormir en toute quiétude, une fois le couvre-feu crié par les sergents-massiers de la milice communale qui patrouillaient pendant la nuit.
À l ’ heure des laudes, les portes de la Bouquerie étaient déjà ouvertes, herses levées. Après nous être faits connaître des gardes, nous les franchîmes sans difficulté sous le regard indifférent des sentinelles apostées.
Il avait plu à verse la veille. Un de ces formidables orages, tels que nous en connaissions dans notre contrée en ces mois-là. U n véritable déluge.
Des employés de la municipalité comblaient avec de la paille et des copeaux de bois les ornières que la pluie torrentielle avait creusées pendant la nuit. Nous étions en vigilance pour éviter à nos montures les nids-de-poule presque aussi dangereux pour leurs membres que des chausse-trappes.
Les artisans ouvraient leur échoppe, préparaient leurs instruments, étalaient leurs marchandises : ferblantiers, poissonniers et mazeliers, tailleurs, cordonniers, savetiers… Les battants qui en fermaient la devanture pendant la nuit étaient à présent relevés au-dessus de leur comptoir et maintenus inclinés par des poteaux posés dans la rue qui réduisaient d’autant la largeur du passage.
Avant une heure, bien avant que tierce ne sonne au clocher de la cathédrale, la ville sortirait de sa torpeur. Les marchands vanteraient leurs marchandises, la tendresse de leur viande, la fraîcheur de leurs poissons… et une foule de badauds et de chalands grouillerait comme abeilles dans un chastoire.
En passant par des rues
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