Le Troisième Reich, T1

l'entendant parler, décida qu'il pourrait utiliser un
jeune homme aussi manifestement doué. Goebbels, à vingt-huit ans, était déjà un
orateur fougueux, un nationaliste fanatique; de plus, comme Strasser le savait,
il possédait une plume alerte et, chose rare chez les chefs nazis, une solide
formation universitaire. Heinrich Himmler venait de se démettre de ses
fonctions de secrétaire de Strasser pour se consacrer davantage à l'élevage des
poules. Strasser choisit Gœbbels pour le remplacer. Ce choix devait se révéler
lourd de conséquences.
    Paul-Joseph Gœbbels était né le 29 octobre 1897, à Rheydt,
centre textile de quelque 30 000 habitants, en Rhénanie. Son père, Fritz
Gœbbels, était contremaître dans une filature. Sa mère, Katharina Odenhausen,
était fille d'un forgeron. Tous deux étaient de fervents catholiques.
    L'éducation de Joseph Gœbbels fut donc essentiellement
catholique. Il suivit les cours d'une école paroissiale, puis ceux du Gymnasium de Rheydt. Une bourse de la Société Catholique Albert Magnum lui permit d'aller
à l'université, en fait à huit universités. Avant de recevoir son diplôme de
docteur en philosophie à Heidelberg en 1921, à l'âge de vingt-quatre ans, il
avait étudié dans les facultés de Bonn, de Fribourg, de Wurtzbourg, de Cologne,
de Francfort, de Munich et de Berlin. Dans ces illustres institutions, la fleur
de l'enseignement supérieur allemand, Gœbbels s'était consacré principalement à
l'étude de la philosophie, de l'histoire, de la littérature et de l'art, et il
avait continué à étudier le latin et le grec.
    Il avait l'intention de devenir écrivain. Un an avant de
recevoir son diplôme, il écrivit un roman autobiographique, Michael ,
dont aucun éditeur ne voulut alors, et, dans les deux années qui suivirent, il
termina deux pièces, Le Vagabond (sur Jésus-Christ) et L'Invité
Solitaire , toutes les deux en vers, et qu'aucun producteur ne voulut monter [42] .
    Il n'eut pas plus de chance dans le journalisme. Le grand
quotidien libéral, Berliner Tageblatt , refusa les douzaines d'articles
qu'il proposa, ainsi que sa candidature à un poste de reporter. Sa vie
personnelle commença aussi par bien des déceptions. Comme il était infirme, il
ne put faire la guerre et fut ainsi privé de l'expérience qui semblait, du
moins au début, si glorieuse pour les jeunes hommes de sa génération et qui
était indispensable pour devenir un des chefs du Parti nazi. Gœbbels n'était
pas né avec un pied bot, comme le croyaient la plupart des gens. A sept ans, il
avait été victime d'une crise d'ostéomyélite, c'est-à-dire d'une inflammation
de la moelle osseuse.
    Une opération à la cuisse gauche se solda par un échec; la jambe
gauche resta plus courte et légèrement atrophiée. Cette infirmité, qui lui
laissa une claudication marquée lui gâcha l'existence et fut à l'origine de ses
premières amertumes. En désespoir de cause, lorsqu'il était étudiant et durant
sa brève période d'agitateur anti-français dans la Ruhr, il se fit souvent
passer pour un mutilé de guerre.
    Il n'avait pas plus de chance en amour, bien que toute sa vie
durant il prît pour de grandes passions des aventures qui défrayèrent la chronique
lors de ses années au pouvoir. Son journal de 1925-1926, alors qu'il avait
vingt-huit et vingt-neuf ans et que Strasser venait de le lancer dans la
politique nazie, est plein de rêveries à propos des élues de son cœur —
lesquelles étaient parfois plusieurs en même temps [43] .
    Ainsi :
    14 août 1925 : Alma m'a envoyé une carte postale de
Bad Harzburg. Premier signe de vie qu'elle me donne depuis cette fameuse nuit.
Charmante, aguichante Alma! Reçu la première lettre d'Else en Suisse. Seule
cette chère Else peut écrire ainsi... Je vais bientôt aller passer une semaine
sur le Rhin pour être seul. Ensuite Else viendra... Comme je suis heureux en y
pensant!
    15 août : En ce moment, je dois penser si souvent à
Anke... Comme cela a été merveilleux de voyager avec elle. Quelle merveilleuse
fille!
    Je m'ennuie d'Else. Quand l'aurai-je de nouveau dans mes
bras? Else chérie, quand te reverrai-je? Aima, chère petit poids plume! Anke,
jamais je ne pourrai t'oublier!
    27 août : Trois jours sur le Rhin... Pas un mot
d'Else... Est-elle en colère après moi? Comme je me languis d'elle! J'occupe la
même chambre où j'étais descendu avec elle à la Pentecôte de l'année dernière.
Quelles pensées! Quelles