Le Troisième Reich, T1
pierre angulaire de la prospérité allemande
était constituée par les emprunts à l'étranger, principalement en Amérique, et
par le commerce international. Quand le flux des prêts étrangers se tarit et
qu'arriva le moment où il fallait rembourser les premiers emprunts, les
finances allemandes furent incapables de résister à cette tension.
Lorsque le commerce mondial se ralentit à la suite du marasme
général, l'Allemagne ne parvint plus à exporter suffisamment pour payer les
importations indispensables de matières premières et de vivres dont elle avait
besoin. Sans exportation, l'industrie allemande ne pouvait continuer à faire
tourner ses usines, et sa production diminua presque de moitié entre 1929 et
1932. Des millions d'ouvriers se trouvèrent en chômage. Des milliers de petites
entreprises sombrèrent. En mai 1931, la plus grosse banque d'Autriche, le
Kreditanstalt, ferma ses guichets, et ce krach fut suivi, le 13 juillet, par la
faillite de l'une des principales banques allemandes, la Darmstaedter und
Nationalbank, qui obligea le gouvernement de Berlin à fermer provisoirement
tous les établissements bancaires.
Même l'initiative du président Hoover de proclamer un moratoire
sur toutes les dettes de guerre, y compris les réparations allemandes,
moratoire qui prit effet le 6 juillet, ne put détourner le courant. Le monde
occidental tout entier se trouvait frappé par des forces que ses dirigeants ne
comprenaient pas et qu'ils estimaient échappées au contrôle des hommes. Comment
se faisait-il que, soudain, il pût y avoir une telle pauvreté, tant de souffrances
humaines, au milieu d'une telle abondance ?
Hitler avait prédit la catastrophe, mais, pas plus qu'aucun
autre homme politique, il ne comprenait ce qui l'avait provoquée; peut-être
comprenait-il même encore moins que la plupart, car il était ignorant et ne
s'intéressait pas à l'économie politique. Mais il s'intéressait, par contre,
aux occasions que la crise lui offrait soudain. La misère du peuple allemand,
toutes ces existences encore marquées par la désastreuse expérience de
l'effondrement du mark moins de dix ans auparavant, tout cela n'éveillait pas
sa compassion. Au contraire, aux jours les plus sombres de cette période, quand
le silence s'appesantissait sur les usines, quand le nombre des chômeurs
inscrits dépassait six millions et que des files interminables se formaient
devant les boulangeries dans toutes les villes d'Allemagne, il pouvait écrire
dans la presse nazie : « Jamais de ma vie je ne me suis senti aussi bien
disposé et aussi satisfait qu'en ce moment. Car la dure réalité a révélé aux
yeux de millions d'Allemands les escroqueries sans précédents, les mensonges et
les trahisons dont se sont rendus coupables les marxistes qui ont trompé le
peuple (10) ». Il ne s'agissait pas de perdre son temps à compatir aux
souffrances de ses compatriotes, mais bien plutôt d'en faire froidement et
immédiatement un soutien politique à ses propres ambitions. Ce fut ce qu'il
entreprit de faire à la fin de l'été 1930.
Hermann Mueller, le dernier chancelier social-démocrate
d'Allemagne et le chef du dernier gouvernement formé sur une coalition des
partis démocrates qui avaient soutenu la République de Weimar, avait
démissionné en mars 1930 à cause d'une querelle entre les partis à propos du
fonds de l'assurance-chômage. Il avait été remplacé par Heinrich Bruening, le
leader au parlement du Parti catholique du Centre, qui avait obtenu la Croix de
fer comme capitaine d'une compagnie de mitrailleuses durant la guerre et dont
les opinions conservatrices au Reichstag avaient attiré la bienveillante
attention de l'armée et notamment d'un général du nom de Kurt von Schleicher,
qui était alors totalement inconnu du public allemand.
Schleicher, un « officier de ministère » orgueilleux, capable et
ambitieux, déjà connu dans les milieux militaires comme un intrigant doué mais
sans scrupules, avait suggéré au président Hindenburg le nom de Bruening. Le
nouveau chancelier, bien qu'il ne s'en fût peut-être pas pleinement rendu
compte, était le candidat de l'armée. D'un caractère résolu, désintéressé,
modeste, honnête, dévoué, assez austère, Bruening espérait restaurer en
Allemagne un gouvernement parlementaire stable et sauver le pays du marasme et
du chaos politique. Ce fut la tragédie de ce patriote bien intentionné et
sincèrement démocrate que, en essayant d'y
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