Le Troisième Reich, T2
Rendu libre à l’Ouest – du moins se l’imaginait-il, – condition
essentielle qu’il s’était lui-même posée, il se trouvait dès lors à même d’attaquer
la Russie. L’occupation-éclair des États Baltes et de deux provinces roumaines
par Staline précipita sa décision. Le moment où celle-ci prit corps de façon
formelle nous est aujourd’hui connu : il remonte aux premiers mois de la
campagne d’Europe occidentale (8).
En effet, le colonel Warlimont, délégué de Jodl à l’état-major
de la Wehrmacht, rapporte qu’au cours d’une conférence de l’état-major
opérationnel, le 29 juillet 1940, Jodl fit connaître aux généraux réunis « l’intention
du Führer d’attaquer l’Union Soviétique au printemps de 1941 (9) ». Antérieurement
à cette conférence, relate Jodl lui-même, Hitler avait annoncé au général
Keitel son intention de déclencher les hostilités contre la Russie dès l’automne.
C’était aller un peu fort, même pour Keitel, qui réussit à détourner le
dictateur d’un tel projet en faisant valoir les conditions défavorables de la
saison d’automne et les énormes difficultés de transport du gros de l’armée d’Ouest
en Est. Toutefois, lisons-nous dans les notes de Halder (10), une semaine avant
le conciliabule du 29 juillet, Hitler remit à l’ordre du jour la
possibilité d’une attaque contre la Russie à la fin septembre.
C’est en effet le 21 juillet qu’il donna ordre à
Brauchitsch d’en entreprendre la préparation. La question avait été déjà
soulevée, d’ailleurs bien superficiellement, la réponse du commandant en chef
le prouve. Ne déclara-t-il pas au Führer que la campagne de Russie « durerait
de quatre à six semaines » ! Son objet serait « de vaincre l’Armée
Rouge ou, tout au moins, d’occuper un espace suffisamment étendu du territoire
soviétique pour empêcher les bombardiers ennemis d’atteindre Berlin et la
région industrielle de Silésie et de permettre, en revanche, à la Luftwaffe de
bombarder les objectifs importants de l’Union Soviétique ». Selon
Brauchitsch, 80 ou 100 divisions suffiraient, les Russes, calculait-il, ne
disposant que de 50 à 60 divisions.
Ce que nous rapporte Halder des propos de Brauchitsch démontre
qu’Hitler était piqué au vif par les succès balkaniques de Staline. Il accusait
aussi ce dernier de « flirter » avec l’Angleterre et d’encourager sa
résistance, mais il ajoutait « qu’aucun indice ne lui donnait à penser que
l’U. R. S. S. se préparât à déclarer la guerre à l’Allemagne ».
La perspective d’invasion de l’Angleterre se faisant de plus en
plus lointaine, Hitler résolut d’informer ouvertement ses généraux de sa
décision d’attaquer la Russie. Il le fit le 31 juillet 1940. Halder, présent
à la conférence tenue ce jour-là au Berghof, nota en sténo les paroles du
dictateur (11). Elles révèlent que non seulement sa décision était prise, mais
ses plans stratégiques d’agression déjà tracés.
La Grande-Bretagne place tous ses espoirs en la Russie et
en l’Amérique, expliqua-t-il. Si son espoir en la première s’écroule, celui qui
lui reste du côté américain en fait autant, car l’élimination de la Russie
accroîtra considérablement la puissance japonaise en Extrême-Orient.
« Plus je réfléchis, avoua le Führer, plus je suis
persuadé que la farouche détermination de la Grande-Bretagne de continuer la
bataille repose sur l’appui escompté de l’U. R. S. S. Il se passe quelque chose
d’étrange outre-manche : hier, les Anglais étaient par terre ; aujourd’hui,
les voilà de nouveau debout… Il suffit que la Russie, inquiète de nos conquêtes
occidentales, leur fasse entendre qu’elle ne souhaite pas le développement de
la puissance germanique pour qu’ils s’accrochent comme des noyés à l’espoir d’un
complet retournement de la situation d’ici quelques mois. Si nous écrasons
la Russie, la dernière planche de salut de l’Angleterre sombre avec elle , et
l’Allemagne deviendra maîtresse de l’Europe, y compris des Balkans. Pour tous
ces motifs, la Russie doit être liquidée. Le plus tôt sera le mieux. Date
prévue : Printemps 1941 [91] . »
Le dictateur exposa ensuite aux généraux le plan stratégique qui,
de toute évidence, mûrissait depuis longtemps dans son esprit, malgré les
soucis que lui causait le front de l’Ouest.
« L’opération, dit-il, vaut la
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