Le Troisième Reich, T2
« appréciait
hautement l’information communiquée ». Stafford Cripps, disait le
mémorandum, a pressé Staline d’expliciter son attitude sur un point particulier
entre autres :
« Le gouvernement britannique est convaincu (Cripps
dixit) que l’Allemagne s’efforce d’imposer son hégémonie à l’Europe ; entreprise
dangereuse pour l’Union Soviétique autant que pour la Grande-Bretagne. En
conséquence, ces deux pays se doivent d’adopter une politique commune de
protection contre l’Allemagne et tendre au rétablissement de l’équilibre
européen des puissances… »
La réponse de Staline, rapporte Cripps, se résume ainsi :
J’estime que le danger d’une hégémonie exercée par un
quelconque pays d’Europe est inexistant, plus inexistant encore le danger d’une
absorption de l’Europe par l’Allemagne. J’observe de très près la politique
allemande et j’entretiens des relations étroites avec plusieurs hommes d’État
allemands. Chez aucun d’eux je n’ai décelé le désir d’absorber un pays européen.
Je ne crois pas davantage que les succès militaires allemands constituent une
menace pour l’Union Soviétique, non plus que pour son entente amicale avec le
Reich (6).
Une telle suffisance, une ignorance aussi totale, un aveuglement
aussi stupéfiant nous laissent bouche bée. Évidemment, le tyran russe ignorait
les desseins en gestation dans le cerveau tortueux d’Hitler, mais la conduite
passée du Führer, son ambition démesurée, connue de tous, et
la rapidité inouïe des conquêtes nazies auraient dû suffire à l’instruire du
redoutable danger dans lequel se trouvait l’U. R. S. S.
Aussi inconcevable que cela paraisse, rien de tout cela ne
suffit. Grâce à la saisie de documents secrets allemands et au témoignage de
plusieurs personnages ayant figuré au premier plan de la grande tragédie qui s’est
jouée d’un bout à l’autre de l’Europe occidentale, il est établi qu’à l’heure
même où Staline faisait montre de sa monumentale inconscience Hitler
nourrissait le projet de se retourner contre l’U. R. S. S. et de l’anéantir. L’idée
maîtresse n’était pas neuve. On là trouve exposée, quinze ans plus tôt, dans Mein Kampf :
« Nous autres, nationaux-socialistes, écrit Adolf
Hitler, repartons du point où notre pays s’est arrêté il y a six cents ans. Nous
mettons fin à la perpétuelle poussée de l’Allemagne vers le sud et l’ouest de l’Europe
pour tourner nos regards vers les espaces de l’Est… Aujourd’hui, lorsque nous
parlons de nouveaux territoires européens, c’est à la Russie et aux Etats
vassaux de ses frontières que nous devons songer tout d’abord. Le destin
lui-même nous désigne la route à suivre. Le colossal empire de l’Est est mûr
pour la désagrégation. La fin de la domination juive en Russie marquera
également la fin de la Russie en tant que nation (7). »
Cette conception, ancrée au tréfonds de son esprit, ne cessa
jamais d’habiter Hitler. Le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 ne
fit que différer sa mise à exécution. En fait, moins de deux mois après sa
signature, aussitôt suivie de l’invasion de la Pologne, le Führer apprend à ses
chefs militaires que le territoire polonais nouvellement conquis « constitue
la prochaine zone de rassemblement des forces armées allemandes en vue d’opérations
futures »… Cette déclaration, notée dans les carnets d’Halder, porte la date du 18 octobre 1939. Cinq semaines plus tard, le 23 novembre,
à l’occasion d’une harangue adressée à quelques généraux opposés à une
offensive immédiate sur le front de l’Ouest, Hitler prouve qu’il ne renonce pas
le moins du monde à assaillir l’U. R. S. S.
« Nous ne pourrons combattre la Russie, déclare-t-il,
qu’après nous être rendus libres à l’Ouest ».
Déjà à cette époque, il envisage une guerre sur deux fronts, cauchemar
des chefs militaires depuis des siècles, ce qui ne l’empêche pas d’affirmer en
termes prolixes que lui, Adolf Hitler, ne renouvellera pas
les erreurs des gouvernements précédents : « L’armée allemande d’aujourd’hui
ne combattra que sur un front à la fois. »
Il est très compréhensible que la débâcle de la France, le
refoulement de l’armée britannique par-delà la Manche et la perspective de l’effondrement
imminent de l’Angleterre aient amené Hitler à jeter à nouveau les yeux sur la
Russie.
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