Le Troisième Reich, T2

d’humeur
optimiste, se penchent durant la journée entière sur les ultimes détails de la
plus gigantesque opération militaire de l’Histoire : une offensive-massue
sur un front de 2 400 kilomètres s’étendant de l’océan Arctique à la mer
Noire. Brauchitsch, rentré la veille d’une inspection du secteur oriental, manifeste
sa satisfaction. Les officiers et les hommes sont dans une forme splendide et gonflés à bloc.
    Ce dernier conseil dura de onze heures du matin à six heures
trente du soir, interrompu par la brève pause du déjeuner, au cours duquel
Hitler prononça à l’adresse de ses généraux la Nième de ses incandescentes
harangues d’avant la bataille (110). D’après Halder, ce
fut un simple tour d’horizon politique. « La chute de la Russie, annonça
entre autres choses l’orateur, obligera l’Angleterre d’abandonner la partie. C’est
là le but initial de notre attaque. » Le maréchal Keitel, moins discret qu’Halder,
nous apprendra à Nuremberg que le dictateur mit l’accent sur un tout autre
thème :
    « Le combat que nous allons livrer dresse face à face
deux idéologies antagonistes et les méthodes que, soldats, nous avons suivies
jusqu’ici – les seules admises par le code militaire international – doivent à
présent s’ajuster à des principes absolument différents. »
    Ensuite, poursuit Keitel, le Führer nous
donna des consignes ayant pour but de répandre chez l’ennemi une terreur sans
précédent « par des moyens brutaux ».
    « Avez-vous émis une protestation contre de tels ordres ?
demanda à Keitel son défenseur.
    — Non, répondit l’accusé, je n’ai pas protesté ; les
autres généraux non plus [122] . »
    N’est-il pas inconcevable que les hommes du Kremlin, réputés
pour leur méfiance et leur réalisme, et mis en face des menaces les plus
précises, des évidences les plus aveuglantes, n’aient pas compris, même à la
onzième heure, que leur pays allait être assailli et cela avec une force, une
violence capables d’anéantir la nation ?
    En ce beau soir d’été du 21 juin, à neuf heures trente, quelques
heures avant l’assaut de Barberousse , Molotov recevait l’ambassadeur d’Allemagne
dans son cabinet du Kremlin pour lui servir « ses dernières inepties »
(Churchill dixit). Après avoir fait état de nouvelles violations du territoire
soviétique par les avions de reconnaissance allemands, au sujet desquelles il
se proposait de formuler une protestation auprès de Ribbentrop, le camarade
commissaire changea de sujet. Une dépêche urgente de von Schulenburg, transmise
à Berlin sur-le-champ, nous fait part de ses propos.
    « A en juger d’après certaines indications, m’exposa
Molotov, le gouvernement allemand est mécontent du Kremlin. Des rumeurs
insistantes circulent touchant un conflit germano-russe imminent… Le Kremlin ne
comprend pas les raisons des griefs allemands… il aimerait que je les lui
communique et lui dise ce qui provoque la tension actuelle des relations entre
nos deux pays. Je lui dis que, manquant de renseignements précis, je n’étais
pas en mesure de lui répondre (111). »
    Ces renseignements précis, l’ambassadeur va les recevoir presque
immédiatement. Dans la nuit, lui parvenait sur les ondes Berlin-Moscou un long
message chiffré de Ribbentrop portant les mentions : Secrets d’Etat – Très Urgent – Strictement Personnel , et commençant ainsi :
« Dès réception détruisez tous vos codes et sabotez vos émetteurs. Voyez
Molotov de toute urgence et notifiez-lui la déclaration suivante… »
    La déclaration en question présente l’habituel ramassis de
mensonges éculés, d’inventions préfabriquées dont Hitler s’est si souvent servi
pour justifier chacune de ses agressions. Il y est passé maître. En réalité – c’est
du moins le sentiment de l’auteur du présent ouvrage – elle dépasse en cynisme,
en impudence et en hypocrisie toutes les précédentes.
    Alors que l’Allemagne s’est montrée loyalement fidèle au Pacte
germano-soviétique, prétend Hitler, la Russie l’a violé à plusieurs reprises. Elle
s’est livrée contre son alliée à des actes de terrorisme et de sabotage. Elle l’a
combattue dans ses efforts de stabilisation et d’ordre en Europe ; elle a
conspiré avec l’Angleterre en vue d’une attaque contre les armées allemandes en
Roumanie et en Bulgarie. Par la concentration de toutes ses forces