Le Troisième Reich, T2
exposait
dans ses grandes lignes le plan de campagne de l’état-major général allemand et
également le schéma de l’exploitation économique de l’Union Soviétique conquise.
Sam Woods, sympathique hurluberlu dont les lumières en matière d’histoire
et de politique n’étaient pas particulièrement étincelantes, semblait, pour
tous ceux qui l’approchaient, le dernier homme au monde – tout au moins à l’ambassade
américaine – à pouvoir dénicher une information aussi sensationnelle.
Jusqu’à ce que Cordell Hull en apporte la confirmation dans ses
mémoires avec preuves à l’appui, la majorité des collègues et amis de Sam Woods
demeurèrent incrédules.
Sam Woods, raconte le secrétaire d’État, avait un ami allemand (anti-nazi)
en contact avec certains personnages haut placés du parti, fonctionnaires de
divers ministères et de la Reichsbank. Au mois d’août 1940, l’ami en question
lui apprit que des conciliabules répétés se tenaient à la Chancellerie. Objet :
l’attaque de l’U. R. S. S. De ce jour-là, l’informateur tint Woods au courant
de ce qui transpirait des milieux militaires et administratifs, en train d’élaborer
le dépeçage de la Russie. Pour éviter d’être repéré, l’Allemand rencontrait
Woods dans différents cinémas et, à la faveur de l’obscurité, lui glissait ses
feuillets de notes [120] .
Tout d’abord, Cordell Hull crut qu’il s’agissait d’un piège
tendu à Woods et fit part de ses soupçons à Edgar Hoover, directeur du F. B. I.
Celui-ci lut le rapport et lui accorda crédit. Les sources allemandes d’information
– états-majors, fonctionnaires, etc., – furent passées au crible et les
personnages en cause, tous bien placés pour savoir ce qui se passait, jugés
suffisamment hostiles au régime hitlérien pour s’être permis de bavarder. En
dépit des relations quelque peu ombrageuses existant alors entre la Maison
Blanche et le Kremlin, Cordell Hull décida d’informer le gouvernement
soviétique et, sur ses instructions, le sous-secrétaire d’État aux Affaires
étrangères, Sumner Welles, communiqua à Constantin Oumansky, ambassadeur d’U. R.
S. S. à Washington, l’essentiel du rapport de Sam Woods.
« M. Oumansky pâlit, relate
Sumner Welles. Après un silence de plusieurs secondes, il dit :
« Je me rends pleinement compte de la gravité de votre information et vais
en faire part au Kremlin sur-le-champ. Le gouvernement soviétique vous sera
reconnaissant de votre confiance (102). »
Staline en fut-il reconnaissant ? Daigna-t-il même ajouter
foi à ce renseignement capital ? Il n’en laissa rien paraître. Au
contraire, l’hostilité du Kremlin se fit plus véhémente parce que, en raison de
son aide à l’Angleterre, l’Amérique ne pouvait plus fournir à la Russie tout ce
que celle-ci lui demandait. Néanmoins, la première semaine de juin, le
Département d’État communiqua à Steinhardt, ambassadeur des États-Unis à Moscou
et, par son truchement, à Molotov, deux rapports provenant
des légations de Bucarest et de Stockholm, l’informant de l’attaque allemande
de la Russie, « prévue dans les quinze prochains jours ».
Longtemps auparavant, Churchill, lui aussi, avait donné l’alarme.
Le 3 avril, il priait Sir Stafford Cripps de remettre à Staline, en mains
propres, un message attirant son attention sur l’implication menaçante des
concentrations de divisions allemandes le long de la frontière polonaise
méridionale ; information qu’il tenait d’agents secrets anglais. Cripps
différa la remise du message et, dans ses mémoires, Churchill en exprime son
mécontentement tenace (103).
Dès la fin d’avril, Cripps connaissait la date de l’attaque
contre l’U. R. S. S., et les Allemands le savaient. Le bref message ci-dessous,
expédié au grand état-major de la Kriegsmarine par l’attaché naval allemand à
Moscou, le prouve.
« L’ambassadeur de Grande-Bretagne prédit pour le 22 juin
l’ouverture des hostilités (104). »
Ces deux lignes, consignées dans le Journal de guerre de la
marine, s’accompagnent d’un point d’exclamation (105). L’original fait partie
des documents secrets saisis à Berlin.
L’oracle rigoureusement précis du diplomate anglais surprit
grandement les amiraux. Quant au pauvre attaché naval qui, pas plus que
Schulenburg, n’était dans le secret de Barberousse , il avait cru devoir
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