Le Troisième Reich, T2
paupière,
les sentiments que durent lui inspirer ces propos incohérents (6). »
Ribbentrop entama ensuite le couplet américain :
Si le président Roosevelt n’avait pas entretenu les espoirs
de Churchill… il n’est pas douteux que la Grande-Bretagne aurait abandonné la
partie depuis longtemps. L’objet initial du Pacte Tripartite est d’effrayer l’Amérique…
et de l’écarter du conflit… Il faut, par tous les moyens, l’empêcher de prendre
une part directe à la guerre européenne et d’apporter à l’Angleterre un appui
trop effectif… La prise de Singapour la fera sans nul doute se tenir tranquille.
Envoyer sa flotte dans les eaux japonaises lui ferait courir de trop grands
risques… Roosevelt se trouverait dans une position très difficile…
Malgré l’interdiction du Führer, Ribbentrop
laissa échapper à l’adresse de Matsuoka plusieurs allusions transparentes à l’imminente
attaque contre la Russie ; par exemple : « Nos relations avec l’Union
Soviétique sont courtoises, mais rien moins qu’amicales… Si la Russie nous
menace, le Führer l’anéantira… Si un conflit
germano-soviétique a lieu, la Russie aura cessé d’exister avant six mois. »
Matsuoka finit par tiquer et manifesta quelque alarme, rapporte Schmidt ; sur quoi Ribbentrop l’assura qu’à son avis « Staline
s’abstiendrait de poursuivre son imprudente politique ».
Arrivé là, Ribbentrop fut appelé auprès d’Hitler, toujours aux
prises avec le problème yougoslave, et le déjeuner officiel auquel il avait
convié l’éminent visiteur eut lieu sans lui. Dans l’après-midi, après avoir
décrété l’extermination d’un nouveau pays – la Yougoslavie – le Führer entreprit le siège du ministre japonais. Le disque se remit à tourner :
« L’Angleterre a perdu la guerre. Sa capitulation n’est plus qu’une
question de jours, etc., etc. (voir plus haut). Toutefois, elle se raccroche à
deux brins d’herbe : la Russie et l’Amérique, etc. » Au sujet de la
Russie, Hitler se montra plus circonspect que Ribbentrop. « Je ne crois
pas, dit-il, au danger d’une guerre germano-russe. Comment l’Armée Rouge
oserait-elle se mesurer aux 170 divisions de la Wehrmacht ? »
L’Amérique ? Elle a le choix entre trois solutions :
s’armer elle-même ; aider l’Angleterre ; faire la guerre ailleurs que
sur le front européen. Si elle aide l’Angleterre, elle ne pourra plus s’armer. Si
elle l’abandonne, celle-ci sera détruite et l’Amérique se trouvera isolée en
face des trois puissances coalisées de l’Axe. Faire la guerre sur un autre
front ? En aucun cas, l’Amérique n’en est capable.
Par conséquent, conclut le Führer, jamais
le Japon ne trouvera plus belle occasion de porter ses coups dans le Pacifique.
Et, appuyant à fond sur la pédale : « Un tel moment ne reviendra
jamais. Il est unique dans l’Histoire ! »
Matsuoka opina, mais fit observer qu’il ne « gouvernait
malheureusement pas l’empire du Mikado et que, pour le moment, il ne pouvait
prendre d’engagement en son nom… »
Hitler, lui, en sa qualité de dictateur absolu pouvait prendre n’importe
quel engagement sans en référer à qui que ce fût.
C’est ce qu’il fit spontanément au retour à Berlin de Matsuoka
qui venait de rendre visite au Duce [138] .
Cette seconde entrevue, à neuf jours de distance de la première,
eut lieu la veille de l’agression hitlérienne contre deux innocentes nations, la
Grèce et la Yougoslavie. Le Führer, assoiffé de vengeance
et de nouvelles conquêtes, se montra d’humeur belliqueuse. Alors qu’il juge la
guerre avec l’Amérique « indésirable », il déclare, la minute
suivante, que « ses projets en tiennent compte ». Il a piètre opinion
de la puissance militaire américaine, de tout ce qui est américain, et l’exprime
sans ambages.
La conception incongrue qu’il se forge des États-Unis (il a fini
par prendre au sérieux sa propre propagande) s’exprime dans les propos tenus à
Mussolini en août 1941. « Le Führer, rapporte Ciano, prononça
un virulent réquisitoire contre la clique juive dont s’entoure Roosevelt et qui
exploite le peuple américain. Pour rien au monde il ne voudrait vivre dans ce
pays, dont l’idéal s’incarne dans le plus vénal commercialisme et qui ignore
les hautes expressions de l’esprit humain telles que la musique [139] . »
Mais revenons au 4 avril : L’Allemagne a pris
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