Le Troisième Reich, T2
monde (8). »
Matsuoka préconisait l’attaque immédiate, mais Tokyo ne partagea
pas son empressement. L’attitude du gouvernement japonais, extrêmement logique,
se résume ainsi : puisque l’Allemagne prétend vaincre la Russie en trois
mois, en quoi a-t-elle besoin de nous ? En vérité, le Japon n’était pas si
certain que cela de la victoire-éclair de sa partenaire et c’est là le
véritable motif de sa réserve. Ribbentrop reçut alors de son maître l’ordre de
revenir à la charge, et le 10 juillet, alors que l’offensive allemande en
Russie prenait une tournure victorieuse – Halder lui-même,
ainsi que nous l’avons dit, croyait déjà la partie gagnée – il expédia à l’ambassadeur
Ott un second message encore plus impérieux :
Puisque, de l’aveu même de l’ambassadeur du Japon à Moscou,
la Russie est à la veille de s’écrouler… il parait inadmissible que le Japon ne
s’emploie pas à liquider la question de Vladivostok et de la Sibérie aussitôt
que ses préparatifs militaires seront achevés… Je vous prie donc d’employer
tous les moyens à votre portée pour obtenir sa belligérance dans un délai aussi
bref que possible… L’objectif initial demeure le même : nous emparer
conjointement avant l’hiver de la ligne ferroviaire transsibérienne (9).
Le gouvernement japonais, pourtant militariste, ne se laissa pas
étourdir par cette vertigineuse perspective, en dépit des instances de Matsuoka.
L’ambassadeur Ott avoua se heurter à de « sérieux obstacles » de la
part du cabinet (10). A vrai dire, le bouillant Matsuoka s’y heurta le premier
et fut bientôt contraint de se retirer. Avec son départ, Hitler perdait son
meilleur allié, et, bien que d’étroites relations fussent ultérieurement
renouées entre Berlin et Tokyo, les Japonais, fidèles au pacte de neutralité, refusèrent
toujours obstinément de participer aux hostilités germano-russe. Une fois de plus, Hitler était battu à son propre jeu par un allié retors [141] .
« PAS D’INCIDENTS AVEC LES ETATS-UNIS ! »
Puisque le Japon se refusait obstinément à tirer du feu les
marrons d’Hitler (ses propres marrons rôtissaient déjà sous la cendre), la
non-belligérance de l’Amérique prenait une importance capitale, au moins jusqu’à
l’écrasement de. l’U. R. S. S., ce qui, croyaient les Allemands, serait chose
faite avant l’hiver. En attendant, la Kriegsmarine tirait sur ses amarres, irritée
de l’obstination d’Hitler à freiner son action dans l’Atlantique contre les
convois destinés à l’Angleterre, et sa riposte à l’agressivité croissante des
bâtiments de guerre américains. Depuis la première heure, le regard des amiraux,
d’une portée plus vaste que celui d’Hitler borné par ses œillères, voyait
poindre l’entrée en guerre des États-Unis. Pour sa part, Raeder la jugeait
inévitable et conjurait le Führer de s’y préparer.
Dès la capitulation de la France, Gœring et lui-même l’avaient
pressé de s’emparer non seulement de l’Afrique du Nord française, mais des îles
de l’Atlantique, y compris l’Islande, les Açores et les Canaries, afin d’empêcher
les États-Unis de les occuper. Hitler avait manifesté un certain intérêt, mais
l’invasion de l’Angleterre et la conquête de la Russie passaient avant tout. Immédiatement
après, l’outrecuidante Amérique aurait son tour. Le mémorandum confidentiel du
commandant Freiherr von Falkenstein, membre de l’état-major général, nous
dévoile les intentions d’Hitler à ce moment-là :
« Le Führer étudie présentement l’occupation
éventuelle des îles de l’Atlantique en vue d’hostilités avec l’Amérique. Des
délibérations à ce sujet sont actuellement en cours à Berlin (13). »
Dès cette époque – juin 1940 – il est donc non pas question d’ouvrir
ou non des hostilités contre les États-Unis, mais bien du moment à choisir
pour les entamer. Au printemps suivant, cette perspective prit de plus en plus
corps dans le cerveau d’Hitler. Le 22 mai 1941, en effet, l’amiral Raeder
annonce d’un ton lugubre au Führer que la « marine
allemande est obligée de renoncer à l’espoir d’occuper les Açores ». Loin
d’y renoncer, rapporte Raeder (14) dans ses notes confidentielles, « le Führer maintient son intention d’occuper les Açores, d’où les
bombardiers à longue portée pourront aller attaquer les États-Unis. L’occasion
s’en
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