Le Troisième Reich, T2
et Tokyo
sont logés à la même enseigne, et le destin des deux pays se joue en ce moment
pour des siècles… La défaite de l’Allemagne entraînerait l’écroulement du
régime impérialiste japonais (2). »
Afin de familiariser les chefs militaires et les hauts
fonctionnaires de la Wilhelmstrasse avec sa nouvelle politique, Hitler émit le 5 mars
1941 une directive confidentielle concernant la collaboration allemande avec le
Japon (3).
« Le but initial de cette collaboration basée
sur l’accord tripartite est de pousser le Japon à prendre d’actives mesures
en Extrême-Orient [136] .
Mesures qui provoqueront l’immobilisation d’importantes forces armées
britanniques tandis que le centre de gravité des intérêts américains se
déplacera vers le Pacifique… »
« L’objectif commun de l’Allemagne et du Japon
doit être d’abattre l’Angleterre sans délai et, par là, de prévenir l’entrée en
guerre des États-Unis. »
« La prise de Singapour , position-clé de la
Grande-Bretagne en Extrême-Orient, constituera un facteur décisif de victoire
dans la conduite de la guerre par les puissances de l’Axe. »
Par la bouche de Ribbentrop, Hitler presse aussi le Japon de s’emparer
d’autres bases navales britanniques et, « si l’entrée en guerre des
États-Unis ne peut être évitée », de bases américaines. Il enjoint en
outre à son ministre de laisser totalement ignorer aux Japonais l’existence de l’Opération
Barberousse . Pas plus que l’allié italien, l’allié nippon, mobilisé au
service des ambitions d’Hitler, n’est admis à partager le secret de sa
prochaine agression.
Le 18 mars, une conférence extraordinaire réunit Hitler, Keitel,
Jodl et le grand amiral Raeder. Ce dernier est pressant. « L’heure est
venue d’attaquer Singapour, dit-il. Jamais les conditions favorables réunies
aujourd’hui ne se retrouveront, à savoir : immobilisation de la totalité
de la flotte britannique, impréparation de l’Amérique et infériorité de sa
flotte en regard de celle du Japon ». La prise de Singapour « résoudra
tous les problèmes asiatiques regardant les États-Unis et la Grande-Bretagne »
et, s’il le souhaite, permettra au Japon d’éviter un conflit avec l’Amérique.
Il y a néanmoins un hic, admit l’amiral (on voit d’ici Hitler
froncer les sourcils) : d’après les renseignements recueillis par la
Kriegsmarine, le Japon exigerait une condition préalable à son action contre la
Grande-Bretagne : un débarquement des troupes allemandes sur le sol de l’Angleterre.
Le procès-verbal des conciliabules du 18 mars ne fait pas mention de la
réaction du Führer à ce hic ! Raeder savait certainement que le chef
suprême avait renoncé à tout espoir d’envahir l’Angleterre, du moins pour un
temps. Il est donc probable qu’il n’insista pas. Une autre question soulevée
par l’amiral demeura sans réponse : il serait sage, dit-il, d’informer
Matsuoka de vos desseins concernant la Russie (4). Que répondit Hitler ? Nous
l’ignorons.
Le ministre nippon était alors en route pour Berlin, via la
Sibérie et Moscou, « semant de belliqueuses déclarations pro-nazies tout
le long du chemin [137] ».
Son arrivée dans la capitale allemande, le 26 mars, coïncida
fâcheusement avec le coup d’État yougoslave, qui provoqua le renversement du
gouvernement pro-nazi. Hitler, accaparé par les préparatifs du châtiment à
infliger à cette nation turbulente, ne put recevoir Matsuoka que le lendemain
après-midi. Entretemps, Ribbentrop prit sa place et pour la énième fois fit
tourner le vieux disque réservé à de tels visiteurs en de telles occasions, et
y ajouta quelques couplets encore plus imbéciles que de coutume. Le fringant
petit Nippon ne put placer un seul mot. L’interminable procès-verbal rédigé par
Schmidt ne nous laisse aucun doute là-dessus (5).
« L’Axe a déjà définitivement gagné la guerre. La
capitulation de l’Angleterre n’est plus qu’une question de jours », récita
Ribbentrop tout d’une haleine, puis il pressa le Japon « d’attaquer
Singapour sans délai, car la perte « de cette position-clef sera un
élément décisif dans l’effondrement de la Grande-Bretagne ».
Le minuscule interlocuteur japonais ne releva pas la
contradiction. « Assis en face de nous, écrit l’interprète, il écoutait, le
visage indéchiffrable, sans trahir, ne fût-ce que par un battement de
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