Le Troisième Reich, T2
aux
conspirateurs qu’un maréchal sans commandement et sans armée. Ils furent alors
envahis d’un violent découragement. A vrai dire, ils continuèrent à se réunir
clandestinement et à palabrer, mais le cœur n’y était plus. A la suite d’un de
ces innombrables conciliabules, Hassell note : « Pour le moment nous
devons renoncer à entreprendre quoi que ce soit contre le Führer (5). »
Justement, il y aurait eu à entreprendre : Tout d’abord, s’entendre
sur la formule de gouvernement qui succéderait au régime hitlérien. Ensuite, établir
un peu d’ordre dans le tohu-bohu de l’organisation de résistance, jusque-là
parfaitement inefficace. La plupart des chefs de la rébellion, hommes âgés et
de tendance conservatrice, penchaient pour une restauration de la monarchie
Hohenzollern, mais sur quel prince de cette dynastie porter leur choix ? Popitz
optait pour le Kronprinz dont les autres ne voulaient à aucun prix, Schacht eût
préféré le fils aîné du Kronprinz, le prince Guillaume, qui fut tué le 26 mai
1940 dans la campagne de France. Le prince Auguste Guillaume, quatrième fils de
l’ex-Kaiser, surnommé « Auwi », nazi fanatique et S. S. Gruppenführer ,
était bien entendu éliminé d’office. Dans l’été 1941, ils se mirent plus ou
moins d’accord sur le choix de leur candidat au trône : Louis-Ferdinand, l’aîné
des fils survivants du Kronprinz.
Agé de trente-trois ans, ce jeune et beau prince, employé
pendant cinq ans dans les usines Ford de Dearborn, puis, à la Compagnie
Aérienne allemande Lufthansa, recueillit finalement la majorité des suffrages. Intelligent,
de tendances démocratiques, instruit des exigences du XXe siècle, il avait
su s’attirer l’amitié personnelle de Roosevelt. L’atout n’était pas négligeable.
En 1938, à l’époque de son mariage avec la grande-duchesse Kira de Russie, jeune
femme sensée, courageuse et belle, le président avait invité le jeune couple à
passer sa lune de miel à la Maison-Blanche. Hassell n’approuvait pas
entièrement le choix de Louis-Ferdinand : « Il manque des qualités
indispensables à un souverain », objectait-il. Cependant, il emboîta le
pas aux autres.
Après consultation avec Beck, Gœrdeler et Popitz, Hassell mit
enfin sur pied le programme du futur gouvernement comportant des dispositions
provisoires intérimaires entre le renversement du Führer et l’avènement d’une
nouvelle monarchie (6). En attendant l’adoption d’une constitution définitive, le
pouvoir suprême appartiendrait à un régent chargé de nommer lui-même les
membres de son gouvernement et de son conseil d’État. Gœrdeler et, avec lui, quelques
représentants syndicalistes appartenant au complot proposaient, au contraire, le
recours à un plébiscite immédiat.
Le nouveau régime témoignerait ainsi de son caractère
démocratique et populaire. Faute de mieux, le programme de Hassell fut adopté, au
moins dans ses grandes lignes, jusqu’à ce qu’un nouveau plan libéral et de plus
grande envergure prit sa place en 1943, sous la pression du comte Helmuth von
Moltke. Finalement, au printemps de 1942, les généraux rebelles élirent
officiellement pour chef le général Beck, en raison de son intelligence, de son
caractère et, par-dessus tout, du prestige de son nom en Allemagne et à l’étranger,
surtout dans les milieux militaires.
Hassell – encore lui – bien que pénétré d’admiration et de
respect envers l’ancien chef de l’état-major général, exprima des doutes :
« Beck est un théoricien, c’est là le hic, écrit-il un peu avant Noël 1941.
Popitz juge que sa volonté manque de vigueur. » Ce jugement est
malheureusement exact, et cette faille dans le caractère de Beck, c’est-à-dire
sa surprenante absence de volonté en face de l’action, allait se révéler
désastreuse. Toujours est-il que fin mars 1942, à la suite de plusieurs
meetings secrets, les conspirateurs décidèrent de placer une fois pour toutes
Beck à leur tête, chargé de « manœuvrer les ficelles (7) ».
A tous ces stades, la conspiration des généraux conserva
pourtant son caractère nébuleux et irréel. Les documents qu’en ont laissés
leurs auteurs en font foi. Tous savaient qu’Hitler n’attendait que le dégel
puis l’assèchement des routes pour reprendre l’offensive et précipiter l’Allemagne
dans l’abîme. Pourtant, ils se contentaient de palabrer, et encore palabrer
sans
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