Le Troisième Reich, T2
annales militaires allemandes. Hitler commit là l’une des
erreurs les plus désastreuses de sa carrière de stratège. En effet, les deux
lièvres poursuivis lui échappèrent l’un et l’autre, et, cette année-là, les
armées germaniques enregistrèrent la plus humiliante défaite de leur histoire. De
ce 23 juillet, date le prélude de la débâcle finale. Désormais, les jours
du IIIe Reich furent comptés.
Cette fatale directive donna lieu à une scène houleuse au G. Q. G.
ukrainien de Hitler, le « Werewolf » (Loup-garou) proche de Virmiza, entre
Halder, consterné, et le Führer imperméable à tout argument. Le premier s’efforçait
de faire comprendre au second que ses armées ne possédaient plus la puissance
voulue pour mener de front deux offensives de pareille envergure dans deux
directions opposées. L’assaut contre Stalingrad suffisait amplement à absorber
toutes les forces disponibles. « Les Russes, sont finis », se
contentait de répondre Hitler. Le chef de l’état-major général, fort de ses
renseignements personnels, savait que rien n’était plus éloigné de la vérité, mais,
comme toujours, le despote, braqué dans son intraitable entêtement, refusait d’entendre
raison.
« L’aveugle sous-estimation du Führer quant aux
ressources ennemies prend des proportions absurdes et dangereuses, écrit
tristement Halder. Ses réactions pathologiques à des impressions passagères et
sa totale incapacité d’embrasser la situation et ses conséquences confèrent à
son soi-disant commandement un caractère des plus singuliers… »
Quelque temps plus tard, Halder, dont la
disgrâce approche, revient dans ses notes sur la scène du « Werewolf ».
Le commandement d’Hitler a cessé d’avoir quoi que ce soit
de commun avec les principes stratégiques qui font loi depuis des générations. Son
tempérament violent, esclave de ses impulsions, ne reconnaît aucune limite, et
ses rêves éveillés dictent ses actes (17)…
En illustration de ce qu’il appelle la surestimation de sa
propre force et la criminelle sous-estimation de celle de ses ennemis, Halder raconte l’incident que voici :
« Alors qu’on donnait lecture au Führer d’un rapport
rigoureusement objectif prouvant qu’en 1942 Staline était encore en mesure de
rassembler de 1 000 000 à 1 500 000 hommes dans le secteur
septentrional de Stalingrad et à l’Ouest de la Volga, sans parler de 500 000
autres dans le Caucase, rapport fournissant en outre, avec preuves à l’appui, le
chiffre de la production mensuelle des chars d’assaut soviétiques, soit 1 200,
Hitler bondit sur le lecteur, poings en avant, l’écume à la bouche, et lui interdit
de continuer à lire ces boniments ineptes (18). »
« Inutile de posséder le don de prophétie pour prédire ce
qui arrivera lorsque Staline aura précipité 1 500 000 hommes contre Stalingrad
et notre flanc du Don [163] .
J’exposai clairement mon opinion au Führer. Le résultat
fut ma mise en disponibilité. »
Déjà le 9 septembre, Halder avait
appris sa prochaine disgrâce par Keitel. Le Führer, paraît-il,
ne le jugeait plus « psychiquement à la hauteur des exigences de sa tâche ».
Il commenta d’ailleurs sa décision à l’intéressé lui-même, le 24 septembre,
à l’occasion de leur entrevue d’adieu : « Nous avons tous les deux
les nerfs malades, lui dit-il, et mon épuisement actuel est en partie votre
œuvre. Prolonger cette situation est inutile. Aujourd’hui, le Reich a besoin non pas d’habileté professionnelle, mais de zèle idéologique, de
dynamisme national socialiste. Un officier de la vieille école tel que vous, Halder, en est incapable. »
Ainsi parla Adolf Hitler, non pas en chef
suprême responsable du destin de ses armées, mais en fanatique politique (19), et
ainsi disparut Franz Halder. Certes, celui-ci n’était pas
sans défaut : indécision en face de l’action, confusion d’esprit, et, bien
qu’il se fût souvent rebellé contre les décisions du Führer, d’ailleurs
sans succès, il participa longtemps à ses criminelles agressions et à ses
conquêtes. Malgré cela, il sut conserver quelques-unes des vertus inhérentes à
l’ère civilisée et fut dans le Troisième Reich le dernier chef d’état-major
général représentatif des traditions de l’école prussienne [164] .
Il fut remplacé par le général Kurt Zeitzler,
ex-chef d’état-major de Rundstedt sur le front
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