Le Troisième Reich, T2
Leurs corps furent ensuite envoyés au service pathologique, où
les morceaux de peau tatouée furent remis à la femme de Koch qui fit fabriquer
avec cette matière rare des abat-jour et autres objets d’ornementation (78).
Dans un autre camp, celui de Dachau, la
demande dépassa souvent les possibilités d’approvisionnement. Un médecin
prisonnier tchèque, le docteur Frank Blaha, vint en témoigner à Nuremberg :
Parfois il arrivait que nous n’eussions pas suffisamment de
corps ayant de bonnes peaux. Alors le docteur Rascher nous disait :
« C’est bon, on va vous fournir les corps nécessaires ». Et, le
lendemain, nous recevions 20 ou 30 corps de personnes jeunes. On les avait
tuées d’une balle dans la nuque ou en les assommant, afin que la peau ne fût
pas abîmée… Il fallait que la peau provînt de prisonniers sains et fût sans
défaut (79).
Il semble bien que ce docteur Sigmund Rascher ait
été le premier responsable de l’expérience médicale la plus sadique. Ce
charlatan avait attiré l’attention d’Himmler, dont une des obsessions était la
procréation de plus en plus nombreuse de rejetons nordiques supérieurs, sur les
bruits qui circulaient dans les cercles S. S. et selon lesquels Frau
Rascher aurait donné naissance à trois enfants à plus de quarante-huit
ans (en réalité, les Rascher les avaient simplement
enlevés d’un orphelinat).
Au cours du printemps 1941, le docteur Rascher eut
un éclair de génie, alors qu’il suivait à Munich un cours médical spécial, organisé
par la Luftwaffe. Le 15 mai 1941, il écrivit à Himmler. Il avait découvert avec horreur, dit-il, que les
recherches sur l’effet des hautes pressions, entreprises pour le compte de la Luftwaffe, étaient au point mort parce que « l’on n’avait
pu encore procéder à aucun essai sur du matériel humain, de telles expériences
étant très dangereuses et personne ne se portant volontaire pour les subir ».
Pourriez-vous mettre à notre disposition 2 ou 3 criminels
de droit commun en vue de ces expériences ?… Les expériences, au cours
desquelles les sujets peuvent évidemment mourir, seraient faites avec ma
coopération (80).
Au bout d’une semaine, le Führer S. S. répondit :
« Bien entendu on mettra avec plaisir des prisonniers à votre disposition
pour les recherches concernant les hautes altitudes. »
Ainsi fut fait, et le docteur Rascher se mit à l’ouvrage. On
peut juger des résultats en lisant ses rapports et ceux des autres médecins, produits
à Nuremberg et lors du procès des médecins S. S. qui eut lieu ultérieurement.
Les « découvertes » du docteur Rascher sont un modèle
de jargon scientifique. Pour opérer les essais, il fit transporter la chambre
de décompression de la Luftwaffe, de Munich, dans le camp de Dachau, où il
disposerait de cobayes humains. L’air fut pompé hors du dispositif afin de
reproduire les conditions atmosphériques existant à de hautes altitudes : teneur
en oxygène et pression atmosphérique. Puis le docteur Rascher se livra à des
observations dont voici un exemple typique :
Le troisième essai a été fait sans oxygène, à l’équivalent
de 29 400 pieds d’altitude, sur un Juif de trente-sept ans, dans un état
de santé satisfaisant. La respiration a continué pendant 30 minutes. Au bout de
4 minutes le sujet a commencé à transpirer et à agiter la tête. Au bout de 5
minutes, apparition de spasmes ; entre la 5e et la 10e minute, la
respiration s’est accélérée, le sujet perdant conscience. De la 11e à la 13e
minute, la respiration s’est ralentie jusqu’à trois aspirations par minute, pour
cesser complètement à la fin de cette période… Environ une heure après que le
sujet eut cessé de respirer, on a procédé à l’autopsie (81).
Un détenu autrichien, Anton Pacholegg, qui travailla dans le
service du docteur Rascher, a décrit les « expériences » d’une
manière moins scientifique :
J’ai moi-même suivi les expériences à travers le hublot de
la chambre de décompression. J’ai vu les prisonniers subir les effets du vide
progressif jusqu’à ce que leurs poumons éclatent… Ils devenaient fous et s’arrachaient
les cheveux dans un suprême effort pour soulager la pression. Ils se griffaient
la tête et le visage avec les doigts et les ongles. Ils frappaient les murs
avec leurs mains et leur tête et criaient pour atténuer l’effet de la pression
sur leurs tympans. D’ordinaire,
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