Le Troisième Reich, T2
du nord de la France, et le général Karl Heinrich von
Stuelpnagel, gouverneur militaire de la France. Ces deux généraux faisaient
déjà partie de la conspiration anti-hitlérienne et, peu à peu, ils le mirent au
courant de leurs activités dans ce domaine.
Ils furent aidés en cela par un vieil ami de Rommel, le docteur Karl Strœlin, Oberbürgermeister de Stuttgart qui, de même que bien d’autres personnages de
cette histoire, avait commencé par être un nazi enthousiaste, mais qui
changeait maintenant d’opinion en voyant la défaite menacer et les villes
allemandes, y compris la sienne, se transformer rapidement en amas de décombres
sous les bombardements alliés. A son tour, il avait été poussé dans cette voie
par le docteur Gœrdeler qui, au mois d’août 1943, l’avait persuadé de se
joindre à lui pour rédiger un mémorandum adressé au ministre de l’Intérieur – maintenant
dirigé par Himmler – pour demander la cessation des
persécutions dont les Juifs et les églises chrétiennes faisaient l’objet, la
restauration des droits civiques et le rétablissement d’un système de justice
indépendant du parti et de la Gestapo. Par l’intermédiaire de Frau
Rommel, Strœlin attira l’attention du maréchal sur ce mémorandum, qui
semble avoir eu sur lui un effet très net.
Vers la fin du mois de février 1944, les deux hommes se
rencontrèrent chez Rommel, à Herrlingen, près
de Ulm, et ils eurent un entretien à cœur ouvert.
Je lui dis (raconta par la suite le bourgmestre) que
certains officiers supérieurs de l’armée de l’Est se proposaient de faire
Hitler prisonnier et de le contraindre à annoncer à la radio qu’il avait
abdiqué. Rommel approuva cette idée.
Je poursuivis en lui disant qu’il était notre plus grand
général, le plus populaire aussi, et le plus respecté à l’étranger. « Vous
êtes le seul, dis-je, à pouvoir empêcher une guerre civile en Allemagne. Il
faut que vous prêtiez votre nom au mouvement (11). »
Après avoir hésité, Rommel se décida :
« Je crois, dit-il à Strœlin, qu’il est de mon devoir de
venir au secours de l’Allemagne. »
Au cours de cet entretien et de tous ceux qu’il allait avoir par
la suite avec les conspirateurs, Rommel s’opposa à l’assassinat d’Hitler en se
plaçant non pas sur un terrain moral, mais sur un terrain pratique. Tuer le
dictateur, affirma-t-il, reviendrait à en faire un martyr. Il insista pour que
l’on fît arrêter Hitler par l’armée et qu’on le fît comparaître devant un
tribunal allemand pour les crimes commis contre son propre peuple et contre les
populations des territoires occupés (12).
Vers cette même époque, le hasard plaça auprès de Rommel un
homme qui allait lui aussi le pousser dans cette voie, le général Hans Speidel,
qui, le 15 avril 1944, devint son chef d’état-major. Speidel, de même que
son camarade de conspiration Stauffenberg – quoiqu’ils appartinssent à des
groupes totalement différents – était un officier d’un type assez peu courant. Il
n’était pas seulement un soldat mais aussi un philosophe, ayant été reçu summa
cum laude à l’Université de Tübingen, en 1925. Il ne perdit pas de temps. Au
bout d’un mois, le 15 mai, il organisait une réunion dans une maison de
campagne des environs de Paris entre Rommel, Stuelpnagel et leurs chefs d’état-major.
Le but de cette rencontre, raconte Speidel, était de préparer « les
mesures à prendre pour mettre fin à la guerre à l’ouest et renverser le régime
nazi (13) ».
C’était un objectif très vaste, et Speidel comprit que, pour le
préparer, il fallait de toute urgence établir des contacts plus étroits avec
les antinazis de l’intérieur, en particulier avec le groupe Gœrdeler-Beck. Depuis
plusieurs semaines, l’actif Gœrdeler insistait pour une rencontre secrète entre
Rommel et surtout Neurath qui, ayant lui aussi assumé sa part du « sale
travail » d’Hitler, en qualité tout d’abord de ministre des Affaires
étrangères, puis de Protecteur de Bohème, ouvrait enfin les yeux. On décida qu’il
serait trop dangereux pour Rommel de rencontrer lui-même Neurath et Strœlin ;
aussi le maréchal envoya-t-il le général Speidel, et c’est dans la demeure de
ce dernier, à Freudenstadt, que se tint la conférence du 27 mai.
Les trois hommes présents, Speidel, Neurath et Strœlin, étaient,
ainsi que Rommel lui-même, originaires de la Souabe, et il
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