Le Troisième Reich, T2
faisait
transmettre par le télétype de l’armée. « Les troupes, écrivait-il, combattent
héroïquement sur tout le front, mais la lutte inégale approche de sa fin. »
Il ajouta de sa main, en post-scriptum :
« Je vous demande de bien vouloir tirer les
conclusions voulues sans délai. Je sens qu’il est de mon devoir de commandant
en chef du groupe des armées de le déclarer clairement (21). »
« Je lui ai donné sa dernière chance, dit Rommel à
Speidel. S’il ne la saisit pas, nous agirons (22). »
Deux jours plus tard, dans l’après-midi du 17 juillet, alors
que Rommel regagnait son quartier général après avoir inspecté le front de
Normandie, sa voiture fut mitraillée par des chasseurs alliés volant à basse
altitude, et il fut si grièvement blessé qu’on crut d’abord qu’il ne passerait
pas la journée. C’était une catastrophe pour les conspirateurs, car Rommel
avait alors – Speidel le jure (23) – décidé irrévocablement de les aider à
débarrasser l’Allemagne du joug d’Hitler (tout en continuant à s’opposer à son
assassinat). Ainsi qu’on devait le constater, son allant, son audace allaient
beaucoup manquer aux officiers de l’armée, qui se résolurent enfin devant l’effondrement
des armées allemandes à l’Est et à l’Ouest, en ce mois de juillet 1944, à
tenter une dernière fois d’abattre Hitler et le national-socialisme. Selon
Speidel, les conspirateurs « se sentaient terriblement privés de leur
pilier de soutien (24) [258] ».
LA CONSPIRATION DE LA ONZIEME HEURE
Le succès du débarquement allié en Normandie plongea les
conspirateurs de Berlin dans une grande confusion. Ainsi que nous l’avons vu, Stauffenberg
n’y croyait pas pour 1944 et, de toute façon, il estimait qu’il y avait
cinquante chances sur cent pour qu’il échouât. Il semble qu’il ait souhaité qu’il
en fût ainsi, car alors les gouvernements américain et anglais, après un revers
aussi sanglant et aussi coûteux, se seraient montrés plus disposés à négocier, avec
un nouveau gouvernement antinazi, une paix dont les termes auraient pu être
favorables.
Quand il devint évident que l’invasion avait réussi, que l’Allemagne
avait subi une défaite décisive et qu’une nouvelle défaite la menaçait à l’Est,
Stauffenberg, Beck et Gœrdeler se demandèrent s’il fallait poursuivre leurs
projets. Dans le cas où leur premier objectif serait atteint, on leur
reprocherait d’avoir provoqué la catastrophe finale. Si eux la savaient
inévitable, la masse du peuple allemand ne l’avait pas encore compris. Finalement,
Beck en arriva à la conclusion que si une révolte antinazie, même réussie, ne
suffisait plus à préserver l’Allemagne d’une occupation ennemie, elle mettrait
du moins fin à la guerre, épargnant ainsi des vies humaines et évitant d’autres
destructions à la patrie.
Une paix conclue immédiatement empêcherait les Russes de
conquérir l’Allemagne et de la bolchéviser. Une révolte antinazie montrerait au
monde que derrière l’Allemagne nazie il y en avait « une autre ». Et
– qui sait ? – peut-être les Alliés occidentaux, en dépit de la
capitulation inconditionnelle qu’ils exigeaient, ne se montreraient-ils pas
trop durs à l’égard d’une Allemagne conquise. Gœrdeler acquiesça et plaça de
plus grands espoirs encore dans les démocraties occidentales. Il savait, dit-il,
combien Churchill redoutait le danger d’ « une victoire russe, totale ».
Les jeunes conspirateurs, menés par Stauffenberg, n’en étaient
pas entièrement convaincus. Ils demandèrent son avis à Tresckow, qui était
maintenant chef d’état-major de la IIe armée en train de s’effriter sur le
front russe. Sa réponse ramena dans la bonne voie les conspirateurs chancelants.
« Il faut tenter à tout prix l’assassinat. Même s’il
échoue, il faut essayer de s’emparer du pouvoir dans la capitale. Nous devons
montrer au monde et aux générations futures que les hommes de la Résistance
allemande ont osé franchir le pas décisif et risquer leur vie. A côté de cet
objectif, rien d’autre ne compte (25). »
Cette réponse clairvoyante régla la question et ranima les
courages ; elle effaça aussi les doutes qui tourmentaient Stauffenberg et
ses jeunes amis. L’effondrement menaçant en Russie, en France et en Italie
poussait les conspirateurs à agir sans plus attendre. Un autre événement les
contraignit à se
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