Le Troisième Reich, T2
parler de repli.
Les soldats allemands devaient attendre de pied ferme et combattre. Le sujet
lui était de toute évidence déplaisant, et il passa rapidement à un autre. Dans
un discours que Speidel qualifie de « bizarre mélange de cynisme et de
fausse intuition », Hitler assura à ses généraux que la nouvelle arme, le
V-1, qui venait d’être lancée pour la première fois, la veille, sur Londres,
« serait décisive contre la Grande-Bretagne… et amènerait les Anglais à
demander la paix ».
Quand les deux maréchaux voulurent attirer l’attention d’Hitler
sur l’échec complet de la Luftwaffe à l’Ouest, le Führer rétorqua que « des
quantités de chasseurs à réaction (les Alliés ne possédaient pas d’avions à
réaction et les Allemands venaient tout juste de les mettre en fabrication) chasseraient
bientôt les aviateurs anglais et américains des cieux ». « Puis, dit-il,
la Grande-Bretagne s’effondrerait. » Là-dessus, l’approche des avions
alliés les contraignit à se transporter dans son poste de commandement protégé.
En sécurité dans cet abri souterrain bétonné, ils reprirent l’entretien [256] ,
et Rommel insista pour le faire porter sur des questions politiques.
Il prédit (raconte Speidel) que le front allemand de
Normandie allait s’effondrer et que l’on ne pourrait s’opposer à une percée
alliée vers l’Allemagne… Il doutait fort que l’on pût tenir sur le front russe.
Il fit remarquer l’isolement politique absolu dans lequel se trouvait l’Allemagne…
Il conclut… en demandant avec insistance qu’un terme fût mis à la guerre.
Hitler, qui avait interrompu Rommel plusieurs fois, finit par le
couper brutalement : « Ne vous préoccupez donc pas du cours futur de
la guerre, mais plutôt de votre propre front d’invasion. »
Les deux généraux n’aboutissaient à rien avec leurs arguments, tant
militaires que politiques. « Hitler ne prêta aucune attention à leurs
avertissements », devait dire le général Jodl à Nuremberg. Finalement, ils
insistèrent auprès du Commandant Suprême pour qu’il allât du moins rendre
visite au quartier général du groupe d’armées B, commandé par Rommel, afin de
conférer avec quelques-uns des généraux commandant les troupes du front au
sujet des opérations en cours en Normandie. Non sans réticence Hitler accepta
de s’y rendre le 19 juin – soit deux jours plus tard.
Il ne s’y rendit jamais. Dans l’après-midi du 17 juin, peu
après le départ de Margival des maréchaux, un V-1 mal réglé, qu’on venait de
lancer sur Londres, fit demi-tour et atterrit juste au-dessus du blockhaus, où
se trouvait le Führer. Personne ne fut tué ni même blessé, mais Hitler en fut
si frappé qu’il partit immédiatement pour un endroit plus sûr, ne s’arrêtant qu’une
fois parvenu dans les montagnes de Berchtesgaden.
Là, de mauvaises nouvelles le rejoignirent bientôt. Le 20 juin,
les Russes déclenchaient sur le front central l’offensive depuis longtemps
attendue, offensive d’une telle puissance qu’en quelques jours le centre du
front sur lequel Hitler avait concentré le gros de ses forces était disloqué et
la route de la Pologne ouverte. Le 4 juillet, les Russes franchissaient l’ancienne
frontière orientale de la Pologne et convergeaient sur la Prusse-Orientale.
Aussitôt le haut commandement assembla toutes les réserves dont
il disposait et les jeta sur ce point afin de défendre la patrie elle-même – pour
la première fois au cours de la deuxième guerre mondiale. C’était la
condamnation des armées allemandes de l’Ouest. Désormais, elles ne pouvaient
plus espérer recevoir des renforts importants.
Le 29 juin, à nouveau, Rundstedt et Rommel conjurèrent
Hitler de regarder les choses en face, à la fois à l’Est et à l’Ouest, et de
tenter de mettre fin à la guerre tant que le gros des forces allemandes
existait encore. Une rencontre eut lieu sur l’Obersalzberg. Le commandant
suprême reçut froidement les deux généraux, rejetant leurs requêtes et se
lançant dans un long monologue sur la façon dont il allait gagner la guerre
avec une « nouvelle arme-miracle ». Son discours, dit Speidel,
« se perdit dans des digressions fantastiques ».
Deux jours plus tard, Rundstedt était remplacé à son poste de
commandant en chef à l’Ouest par le maréchal von Kluge [257] .
Le 15 juillet, Rommel écrivait une longue lettre à Hitler et la
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