Le Troisième Reich, T2
convocation de Stauffenberg,
jeta un coup d’œil du côté où le colonel était censé se tenir. Heusinger arrivait au bout de son rapport, et le chef de l’O. K. W. voulait faire
signe à Stauffenberg de se préparer à présenter le sien. Peut-être allait-il
avoir besoin d’aide pour sortir ses papiers de sa serviette. Mais il s’aperçut
que le jeune colonel n’était pas là. Se souvenant de ce que Stauffenberg avait
dit au téléphoniste en entrant, Keitel se glissa hors de la pièce pour ramener
le jeune officier à l’attitude étrange.
Stauffenberg n’était pas au téléphone. Le standardiste dit à
Keitel qu’il avait quitté en hâte le bâtiment. Perplexe, Keitel rentra dans la
salle de conférence. Heusinger était en train de conclure. « Les Russes, disait-il,
se dirigent avec des forces importantes de l’ouest de la Duna vers le nord. Leurs
pointes avancées sont déjà parvenues au sud-ouest de Dunaburg. Si notre groupe
d’armées engagé autour du lac Peipus ne se replie pas immédiatement, une
catastrophe (27)… »
Il ne devait jamais terminer sa phrase : à ce moment précis,
douze heures quarante-deux, la bombe explosa.
Stauffenberg assista à ce qui suivit. Il se tenait, en compagnie
du général Fellgiebel, devant le bureau de ce dernier, au Bunker 88, à 200
mètres de là ; tandis que les secondes s’égrenaient, son regard allait
anxieusement de sa montre à la baraque de conférence. Il la vit sauter, une
flamme et de la fumée s’élevèrent en rugissant, comme si, raconta-t-il, elle
avait été frappée de plein fouet par un obus de 155 millimètres.
Des corps jaillissaient des fenêtres, des débris volaient en l’air.
Dans l’esprit surexcité de Stauffenberg, tous ceux qui se trouvaient dans la
salle de conférence étaient morts ou mourants. Il jeta un rapide au revoir à
Fellgiebel, qui devait téléphoner aux conspirateurs à Berlin pour leur annoncer
que l’attentat avait réussi, puis couper toutes les communications jusqu’à ce
que, dans la capitale, les conspirateurs se fussent emparés de la ville et
eussent proclamé le nouveau gouvernement [266] .
Stauffenberg avait maintenant pour objectif immédiat de
sortir du quartier général vivant et le plus vite possible. Aux points de
contrôle, les gardes avaient vu et entendu l’explosion et avaient aussitôt
fermé toutes les sorties. A la première barrière, située à quelques mètres de l’abri
de Fellgiebel, la voiture de Stauffenberg fut arrêtée. Il sauta à terre et
demanda à parler à l’officier de service dans la salle de garde. En présence de
ce dernier, il téléphona à quelqu’un – on ignore qui – parla brièvement, raccrocha
et, se tournant vers l’officier, dit : « Lieutenant, je suis autorisé
à sortir. »
C’était du bluff, mais il réussit et, apparemment, après avoir
soigneusement noté sur son registre : « Douze heures quarante-quatre.
Le colonel Stauffenberg a franchi le contrôle », le lieutenant fit dire au
contrôle suivant de laisser passer la voiture. A la troisième et dernière
barrière, ce fut moins aisé. L’alerte avait déjà été donnée, la barrière avait
été abaissée et la garde doublée ; nul n’était autorisé à entrer ou à
sortir, Stauffenberg et son adjoint, le lieutenant Haeften, furent bloqués par
un sergent têtu du nom de Kolbe.
De nouveau, Stauffenberg demanda à se servir du téléphone et
appela le capitaine von Moellendorff, adjoint au commandant du camp. Il se
plaignit qu’ « en raison de l’explosion » le poste de garde se
refusait à le laisser passer « Je suis très pressé. Le général Fromm m’attend
à l’aérodrome », dit-il. C’était encore du bluff. Fromm était à Berlin, ainsi
que Stauffenberg le savait fort bien.
Après avoir raccroché, le colonel se tourna vers le sergent :
« Vous avez entendu, sergent, je suis autorisé à passer. » Mais le
sergent ne s’en laissa pas conter. Il appela lui-même Moellendorff pour avoir
confirmation. Le capitaine la lui donna (28).
A toute vitesse, l’auto fila vers l’aérodrome, tandis que le
lieutenant Haeften démontait en hâte une seconde bombe qu’il avait apportée
dans sa serviette, en disséminant les morceaux sur le côté de la route où plus
tard la Gestapo devait les retrouver. Le commandant de l’aérodrome n’avait pas
encore été alerté. Le pilote faisait tourner le moteur quand les deux hommes
arrivèrent sur le
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