Le Troisième Reich, T2
exploserait.
Keitel, aussi brutal avec ses subordonnés qu’il était flatteur
avec ses supérieurs, fut agacé par ce retard et se retourna pour crier à Stauffenberg de se dépêcher. Stauffenberg le pria de l’excuser. Tandis
qu’ils se dirigeaient vers la baraque d’Hitler, Stauffenberg manifesta de la
bonne humeur, et l’agacement de Keitel – il ne nourrissait pas encore le
moindre soupçon – se dissipa.
Néanmoins, ainsi que Keitel l’avait craint, ils étaient en
retard. La conférence était déjà commencée. Au moment où Keitel et Stauffenberg
pénétrèrent dans la baraque, le second s’arrêta un instant dans le vestibule d’entrée
pour dire au sergent chargé du standard qu’il attendait un appel urgent de son
bureau de Berlin, d’où l’on devait lui transmettre une information dont il
avait absolument besoin pour son rapport (cela à l’intention de Keitel qui
écoutait). Il fallait donc le prévenir aussitôt que l’appel viendrait.
Les deux hommes pénétrèrent dans la salle. Quatre minutes
environ s’étaient déjà écoulées depuis que Stauffenberg avait glissé la pince
dans sa serviette et brisé la capsule. Il en restait six. La pièce était
relativement petite, environ trente pieds sur quinze, et elle avait dix
fenêtres, grandes ouvertes pour laisser pénétrer un peu d’air. Toutes ces
fenêtres ouvertes allaient certainement réduire l’effet de l’explosion. Au
milieu de la pièce se trouvait une table ovale, de 18 pieds sur 5, en chêne
épais. Cette table avait ceci de particulier qu’elle reposait non pas sur des
pieds mais sur deux socles larges et lourds, placés à ses deux extrémités, presque
aussi larges qu’elle. Ce détail n’allait pas être sans effet sur la suite de l’histoire.
Quand Stauffenberg pénétra dans la pièce, Hitler était assis au
centre, du long côté de la table, le dos tourné à la porte. A sa droite se
tenaient le général Heusinger, chef des opérations et chef
d’état-major adjoint de l’armée, le général Korten, chef d’état-major
de l’air, le colonel Heinz Brandt, chef d’état-major de Heusinger. Keitel prit place à la gauche du Führer ; à côté de lui se trouvait le général Jodl. Il y avait encore 18 autres
officiers des trois armes et des S. S. autour de la table, mais ni Gœring ni Himmler n’étaient présents. Hitler seul, qui jouait avec les
lunettes dont il avait désormais besoin pour lire les cartes étendues devant
lui, et deux sténographes étaient assis.
Heusinger s’était lancé dans un exposé
pessimiste sur la dernière percée effectuée sur le front central et sur la
situation dangereuse qui en résultait pour les armées allemandes, non seulement
en ce point, mais également dans les secteurs nord et sud du front. Keitel le
coupa pour annoncer la présence du colonel von Stauffenberg et en dire la
raison. Hitler jeta un coup d’œil à la manche vide du colonel, au bandeau noir
qui lui couvrait un œil, le salua sèchement et annonça qu’avant d’entendre son
rapport il voulait d’abord en terminer avec celui d’Heusinger.
Sur quoi, Stauffenberg s’assit entre Korten et Brandt, à la droite du Führer. Il
posa sa serviette sur le sol, la poussa sous la table pour l’appuyer contre la
partie intérieure du lourd support de chêne. Elle se trouvait ainsi à
environ six pieds des jambes du Führer. Il était douze
heures trente-sept. Encore cinq minutes. Heusinger continua
de parler, se référant constamment à la carte déployée sur la table.
Il semble que nul ne se soit aperçu que Stauffenberg se glissait
au-dehors, à l’exception peut-être du colonel Brandt. Cet
officier, absorbé par ce que disait son général, se pencha sur la table pour
mieux voir la carte, découvrit que la serviette rebondie de Stauffenberg le
gênait, essaya de la repousser du pied et finalement la saisit d’une main, la
souleva et la plaça contre la partie extérieure la plus éloignée du
lourd support de table, qui maintenant se trouvait entre la bombe et Hitler [265] .
Ce geste en apparence insignifiant sauva probablement la vie
du Führer et coûta la sienne à Brandt. On
se souvient peut-être que le colonel Brandt était cet
innocent officier auquel Tresckow avait demandé d’emporter deux « bouteilles
de cognac » avec lui à bord de l’avion qui allait conduire Hitler de
Smolensk à Rastenburg, dans la soirée du 13 mars 1943…
Keitel, qui était responsable de la
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