Le Troisième Reich, T2
longtemps
réprimées éclatèrent entre les capitaines du Führer, leurs cris résonnèrent
sous les poutres apparentes du toit, tandis qu’Hitler demeurait silencieux et
sombre devant Mussolini qui rougissait d’embarras.
L’amiral Dœnitz, qui s’était précipité par avion à Rastenburg
dès la nouvelle de l’attentat et qui était arrivé peu après le début de la
réception intime, stigmatisa la trahison de l’armée. Gœring, au nom de la
Luftwaffe, l’appuya. Puis Dœnitz s’en prit à Gœring en lui reprochant les
échecs désastreux de la Luftwaffe, et le gros maréchal du Reich, après s’être
défendu, attaqua l’objet favori de son inimitié, Ribbentrop, l’accusant d’avoir
conduit la politique étrangère de l’Allemagne à la faillite.
Il en vint même à menacer de son bâton de maréchal l’arrogant
ministre des Affaires étrangères. « Sale petit trafiquant de Champagne !
fermez votre f… gueule ! » hurla Gœring. C’en fut trop pour
Ribbentrop, qui entendait qu’on lui marquât un peu de respect, même quand il s’agissait
du maréchal du Reich. « Je suis encore ministre des Affaires étrangères, cria-t-il,
et mon nom est von Ribbentrop [268] ! »
Puis quelqu’un lança sur le tapis l’histoire d’une « révolte »
antérieure contre le régime nazi, le « complot » de Rœhm, le 30 juin
1943. A ce rappel, Hitler – qui jusque-là était resté assis d’un air morose, en
avalant les pilules que lui prescrivait son charlatan de médecin, le docteur
Theodor Morell – entra dans une violente fureur. Des témoins ont raconté qu’il
se mit à vociférer : ce qu’il avait fait à Rœhm et à ses affiliés n’était
rien à côté de ce qu’il allait faire aux traîtres qui venaient d’attenter à sa
vie. Il les traquerait sans merci et les détruirait. « Je ferai mettre
leurs femmes et leurs enfants dans des camps de concentration, s’écria-t-il. Je
me montrerai impitoyable ! » Il tint parole.
En partie parce qu’il était épuisé, mais aussi parce que Berlin
donnait de nouveaux détails sur le soulèvement militaire, Hitler interrompit
brusquement son monologue, mais sa colère ne s’apaisa pas. Il accompagna
Mussolini jusqu’à son train – ce devait être la dernière fois qu’ils se
voyaient – et revint à son quartier général. Quand, à six heures, on lui apprit
que le putsch n’était pas encore réprimé, il saisit le téléphone et donna l’ordre
aux S. S. de Berlin de tuer jusqu’au moindre suspect. « Où est Himmler ?
Pourquoi n’est-il pas là ? » Vociféra-t-il, oubliant que, moins d’une
heure plus tôt, tandis qu’il prenait le thé avec Mussolini, il avait intimé au
chef dés S. S. l’ordre de s’envoler vers Berlin pour écraser la rébellion et
que son maître policier ne pouvait déjà y être arrivé (30).
Cette rébellion de Berlin, si soigneusement, si longuement
préparée, avait pris un lent départ, comme devait, à sa grande consternation, l’apprendre
Stauffenberg quand il atterrit à Rangsdorf à quinze heures quarante-cinq. Ainsi
les trois heures précieuses, vitales, pendant lesquelles le quartier général du
Führer avait été coupé du monde extérieur, avaient été perdues.
Stauffenberg fut incapable d’en comprendre la raison, pas plus
que ne le peut l’historien, qui s’efforce de reconstituer les événements de
cette journée fatidique. Bien que les chefs des conspirateurs eussent été
avertis que Stauffenberg était parti pour Rastenburg, le matin même, « lourdement
chargé », comme on l’avait fait savoir au général Hœpner, pour assister à
la conférence d’Hitler à treize heures, quelques-uns seulement, en majorité de
jeunes officiers, commencèrent à arriver vers midi, sans se presser, au
quartier général de l’armée de l’intérieur (et du complot) dans la
Bendlerstrasse.
Lors de la précédente tentative d’assassinat d’Hitler, le 15 juillet,
on se rappellera que le général Olbricht avait donné l’ordre aux troupes de la
garnison de Berlin de se mettre en mouvement deux heures avant l’explosion
prévue. Or, le 20 juillet, se souvenant sans doute du risque qu’il avait
couru, il ne lança pas d’ordre similaire. Les commandants des unités en
garnison à Berlin ou dans les centres d’entraînement de Dœberitz, Jueterbog, Krampnitz
et Wuensdorf avaient été discrètement prévenus, la veille au soir, que selon
toute probabilité ils
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