Le Troisième Reich, T2
obligé de demeurer passif pendant que, par vingtaines, les généraux
les plus haut placés étaient jetés dans les prisons de la Gestapo et assassinés
judiciairement après des semblants de procès devant le tribunal du peuple.
Dans cette situation sans précédent, en dépit de toutes ses
fières traditions, ce corps d’officiers ne serra pas les rangs : il
chercha à sauver son honneur en se dégradant et en se déshonorant ; du
moins c’est ainsi qu’en jugerait un observateur étranger. Devant la fureur de l’ex-caporal
autrichien, ses chefs effrayés courbèrent l’échine.
Quoi d’étonnant à ce que le maréchal von Rundstedt eût l’air
brisé et égaré quand il prononça l’oraison funèbre de Rommel ? Il était
tombé très bas, comme ses camarades, forcés par Hitler de boire la coupe jusqu’à
la lie. Rundstedt accepta même de présider le soi-disant tribunal d’honneur
créé par Hitler pour expulser de l’armée tous les officiers soupçonnés de
complicité dans le complot organisé contre lui, ce qui permettait de leur
refuser la Cour martiale et de les déférer au tribunal du peuple. Ce tribunal d’honneur
n’avait pas l’autorisation d’entendre un officier accusé présenter sa propre
défense ; elle se prononçait uniquement sur les « preuves »
fournies par la Gestapo.
Rundstedt ne protesta pas contre cette restriction, pas plus que
le général Guderian qui, le lendemain de l’explosion, avait été nommé chef de l’état-major
général – encore que ce dernier, dans ses mémoires, ait confessé que c’était
une « tâche déplaisante », que les sessions de la cour étaient « tristes »
et soulevaient « des problèmes de conscience extrêmement difficiles ».
Cela ne fait guère de doute, car Rundstedt, Guderian et les autres juges – tous
des généraux – envoyèrent des centaines de leurs camarades à une exécution
certaine après les avoir dégradés en les rayant de l’armée.
Guderian fit plus encore. En qualité de chef de l’état-major
général, il lança deux ordres du jour retentissants pour exprimer au chef
suprême de l’armée la fidélité inébranlable du corps des officiers. Le premier,
promulgué le 23 juillet, accusait les conspirateurs d’être « un petit
nombre d’officiers, dont certains de réserve, qui avaient perdu tout courage et,
par lâcheté et faiblesse avaient préféré s’engager sur le chemin de la honte
plutôt que sur le seul chemin ouvert à un soldat digne de ce nom – celui du
devoir et de l’honneur ». Sur quoi, il assurait solennellement son Führer de « l’unité des généraux, du corps des officiers et
des soldats ».
Entre-temps, le maréchal (limogé) von Brauchitsch s’empressait
de faire imprimer une déclaration passionnée dans laquelle il condamnait le
putsch, renouvelait son serment de fidélité au Führer et
saluait la nomination d’Himmler – qui méprisait tous les généraux, Brauchitsch
y compris – au poste de chef de l’armée de l’intérieur. Un autre officier
limogé, le grand amiral Raeder, craignant d’être soupçonné de sympathie pour
les conspirateurs, sortit de sa retraite pour se précipiter à Rastenburg et assurer Hitler de sa loyauté. Le 24 juillet, le salut nazi
devint obligatoire et remplaça l’ancien salut militaire « en signe de la
fidélité indéfectible de l’armée au Führer et de l’unité
étroite existant entre l’armée et le Parti ».
Le 29 juillet, Guderian avertissait tous les officiers de l’état-major
général que dorénavant ils devaient donner l’exemple et devenir de bons nazis, loyaux
et fidèles envers leur chef.
Chaque officier de l’état-major général doit être un
officier national socialiste, non seulement… par son attitude à l’égard des
questions politiques, mais en coopérant activement à l’endoctrinement politique
des officiers plus jeunes, conformément aux principes du Führer…
Pour juger et choisir les officiers de l’état-major général,
les officiers supérieurs devront mettre les qualités de caractère et d’esprit
avant l’intelligence. Un gredin peut se montrer fort rusé, mais, dans les
moments difficiles, il n’en faillira pas moins parce qu’il est un gredin.
J’entends que chaque officier de l’état-major général se
déclare sans délai d’accord avec mon point de vue et qu’il fasse dans ce sens
une déclaration publique. Tout officier qui ne serait pas en
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