Le Troisième Reich, T2
du fleuve, l’avaient traversé en deux points et y avaient établi de solides
têtes de pont. En six semaines, Hitler avait perdu plus d’un tiers de ses
forces à l’Ouest et presque tout l’armement de 500 000 hommes.
A deux heures trente, le 23 mars, il avait réuni une
conférence militaire à son Q. G. de Berlin pour envisager les mesures à prendre.
Hitler :
Je considère la seconde tête de pont, celle d’Oppenheim, comme la plus
dangereuse.
Hewel ( représentant
le ministère des Affaires étrangères ) : Le Rhin n’est pas tellement
large en cet endroit.
Hitler :
Deux cent cinquante mètres au moins. Dans la défense d’un fleuve, il suffit qu’un
seul homme s’endorme pour provoquer les pires catastrophes.
Le commandant suprême désirait savoir si on ne pouvait y
envoyer une unité quelconque. Un chef d’état-major répondit :
Pour le moment, nous n’avons pas une seule unité disponible.
Il n’y a que 5 canons anti-chars au camp de Senne ; ils seront prêts
aujourd’hui ou demain. On pourrait les engager dans la bataille quelques jours
après (19)…
Quelques jours après… A ce même moment, Patton tenait à
Oppenheim une tête de pont large de 10 kilomètres et profonde de 9, et ses
tanks se dirigeaient sur Francfort. On imagine en quel piteux état se trouvait
l’armée allemande – naguère si puissante et qui se vantait de ses panzers
victorieux – pour qu’elle en fût réduite, en ce moment de crise, à récupérer
cinq canons anti-chars endommagés et à les rafistoler pendant plusieurs jours
pour enrayer l’avance d’une puissante armée blindée [288] .
A présent que les Américains avaient traversé le Rhin, la
troisième semaine de mars, qu’une imposante armée alliée, composée de
Britanniques, Canadiens et Américains, sous le commandement de Montgomery, s’apprêtait
à en faire autant sur le Rhin inférieur, et que les deux armées commençaient – la
nuit du 23 mars – à envahir les plaines de l’Allemagne du Nord, Hitler
dirigeait sa vindicte non plus sur l’ennemi, mais sur son propre peuple. Les
Allemands l’avaient soutenu durant les plus grandes victoires de l’histoire de
leur pays. Maintenant, devant la défaite, Hitler ne les considérait plus comme
dignes de sa grandeur.
Si le peuple allemand devait connaître la défaite dans ce
conflit – avait-il déclaré aux gauleiters réunis en août 1944 – cela prouverait
sa faiblesse, son impuissance à donner sa mesure devant l’Histoire. Il ne mériterait
que l’anéantissement (20).
La santé d’Hitler se détériorait rapidement, ce qui contribuait
à fausser ses vues. La tension provoquée par la conduite de la guerre, le choc
des défaites, la vie malsaine qu’il menait – sans air et sans exercice dans ses
bunkers souterrains qu’il quittait rarement – ses colères de plus en plus
fréquentes et, pis encore, les médicaments nocifs dont il se bourrait sur les
conseils de son médicastre, le docteur Morell, tout cela avait ébranlé sa santé,
bien avant l’attentat du 20 juillet 1944. Ce jour-là, l’explosion lui
avait crevé les deux tympans, ce qui contribuait à lui donner des vertiges. A
ce moment, ses médecins lui conseillèrent un repos prolongé. Il refusa :
« Si je quitte la Prusse-Orientale, dit-il à Keitel, elle tombera. Tant
que j’y resterai, elle tiendra. »
En septembre 1944, il eut une dépression nerveuse et dut s’aliter.
Mais il se remit en novembre, à son retour à Berlin. Toutefois, il ne parvint
plus à dominer ses terribles colères. En 1945, de plus en plus souvent, tandis
que les nouvelles des fronts s’aggravaient, ses crises de rage hystérique, accompagnées
de tremblements des membres, se multipliaient. Le général Guderian a décrit
plusieurs fois ces crises épouvantables. A la fin de janvier, quand les Russes
eurent atteint l’Oder, à 150 kilomètres à peine de Berlin, et que le chef d’état-major
général commença à exiger l’évacuation par mer de plusieurs divisions
allemandes isolées dans la zone de la Baltique, Hitler se retourna contre lui.
Il avança sur moi et me menaça du poing, si bien que mon
Brave chef d’état-major, Thomale, me saisit par les basques de ma vareuse et me
tira en arrière, de crainte qu’il ne me frappât.
Quelques jours plus tard, le 13 février 1945, les deux
hommes eurent l’occasion de se quereller au sujet de la situation russe, querelle
qui dura deux heures aux dires de
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