Le Troisième Reich, T2
Guderian.
Le poing levé, les joues empourprées, tremblant de tout son
corps, l’homme se tenait en face de moi, fou de colère et complètement déchaîné.
Après chaque éclat, Hitler se mettait à arpenter la pièce, puis, soudain, il s’arrêtait
devant moi et m’accablait d’accusations. Il hurlait presque, les yeux lui
sortaient de la tête et de grosses veines se gonflaient sur ses tempes (21).
C’est dans cet état d’esprit et de santé que le Führer prit une des dernières décisions capitales de sa vie. Le 19 mars, il
ordonna la destruction de toutes les installations militaires et industrielles,
de toutes les voies de communication et de transport, ainsi que de tous les
entrepôts allemands, afin d’éviter qu’ils ne tombent aux mains de l’ennemi. Ces
mesures devaient être appliquées par les forces armées avec l’aide des
gauleiters nazis et des « commissaires à la défense ». La
proclamation se terminait par ces mots : « Toutes mesures contraires
à cet ordre seront considérées comme nulles (22). »
C’était la politique de la terre brûlée : rien ne devait
subsister de ce qui aurait permis au peuple allemand de survivre à sa défaite.
Albert Speer, ministre de l’Armement et de
la Production de Guerre – un homme qui avait son franc-parler, – avait prévu
cette mesure barbare, à la suite de ses entrevues avec Hitler. Aussi, le 15 mars,
avait-il vigoureusement protesté contre cette décision, dans un mémorandum, où
il affirmait de nouveau sa certitude que la guerre était déjà perdue. Il le
présenta personnellement au Führer, le 18 mars au
soir.
Dans quatre à huit semaines (écrivait Speer), il faut s’attendre
à l’écroulement total de l’économie allemande… A la suite de quoi, il sera
impossible de continuer la guerre, même sur le plan militaire… Il nous incombe
de tout tenter pour maintenir – même de façon sommaire – les moyens de vie de
la nation. Nous n’avons pas le droit, à ce stade de la guerre, de nous livrer à
des destructions dangereuses pour la vie des civils. Si nos ennemis veulent
écraser une nation qui s’est défendue avec un rare courage, qu’ils en
supportent la honte devant l’histoire. Nous avons le devoir de laisser à la
nation toutes les possibilités d’assurer sa reconstruction dans l’avenir (23)…
Mais, une fois son destin fixé, Hitler ne s’intéressait plus au
sort de ce peuple allemand pour qui il avait toujours professé un amour
débordant. Il déclara à Speer :
Si la guerre est perdue, la nation doit périr. Le Destin le
veut ainsi. Inutile d’envisager pour elle des moyens de vie, même primitifs. Il
est préférable de procéder aux destructions nous-mêmes, parce que notre nation
aura prouvé sa faiblesse et que l’avenir appartiendra uniquement à la plus
puissante nation de l’Est (la Russie). De plus, les individus qui resteront, une
fois la guerre finie, seront des êtres inférieurs, car l’élite se sera fait
tuer.
Et le terrible Seigneur de la Guerre de proclamer dès le
lendemain sa politique de la « terre brûlée ». Le 23 mars, Martin
Bormann, secrétaire du Führer, y ajouta un ordre non moins
monstrueux. Cet homme au visage de taupe avait réussi à se tailler à la cour du
dictateur une position exceptionnelle parmi les satrapes nazis. C’est au Procès
de Nuremberg que Speer expliqua les intentions de Bormann :
Le décret de Bormann visait à regrouper au centre du Reich
les populations de l’Est et de l’Ouest, y compris les travailleurs étrangers et
les prisonniers de guerre. C’est à pied que ces millions de gens devaient
accomplir le trajet. Aucune mesure n’était prévue pour assurer leur subsistance,
et d’ailleurs rien n’aurait été faisable dans ce sens, étant donné la situation.
C’eût été une incroyable marche de la faim.
Si tous les ordres d’Hitler et de Bormann, à cette époque – et
il y en eut un certain nombre – avaient été exécutés, des millions d’Allemands,
ayant survécu aux horreurs de la guerre, auraient péri. Speer donna
quelques détails, durant le procès de Nuremberg, sur les destructions prévues
par Hitler. Y figuraient :
Toutes les usines, les centrales électriques, les
réservoirs d’eau, les usines à gaz, les magasins d’alimentation et de vêtements ;
tous les ponts, les voies de communication par eau et par rail, tous les
bateaux, les trains de marchandises et les locomotives.
Si les
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