Le Troisième Reich, T2
une
flamme étrangement vacillante, qui créait une sensation inquiétante. Son visage
et surtout ses yeux donnaient une impression d’épuisement total. Tous ses
mouvements étaient ceux d’un vieillard décrépit (2).
Depuis l’attentat du 20 juillet, il se méfiait de tous, même
de ses plus vieux fidèles. A l’une de ses secrétaires, il devait déclarer au
mois de mars : « On me ment de tous côtés. »
Je ne peux avoir confiance en personne. Tous me trahissent.
Cela me dégoûte… S’il m’arrive quelque chose, l’Allemagne restera sans chef. Je
n’ai pas de successeur. Hess est fou, Gœring a perdu la sympathie du peuple et
Himmler serait rejeté par le Parti – d’ailleurs il (Himmler) est tellement
dépourvu de sens artistique… Creusez-vous la cervelle et trouvez-moi un
successeur (3)…
On aurait pu supposer que la situation ne prêtait guère à la
recherche d’un successeur… mais ces nazis insensés prenaient la chose très au
sérieux. Le Führer n’était pas le seul à s’en inquiéter ; il ne manquait
pas d’aspirants à la succession, comme nous ne tarderons pas à le voir.
Malgré son délabrement physique, malgré la fin désastreuse qui l’attendait,
avec les Russes aux portes de Berlin et le Reich occupé par les Alliés
occidentaux, Hitler, ainsi d’ailleurs que ses disciples les plus fanatiques, et
surtout Gœbbels, s’accrochait à l’espoir d’un miracle de dernière heure.
Par un beau soir, au début d’avril, Gœbbels lut à Hitler un
chapitre de l’ouvrage de Carlyle, History of Frederik the Great , qui
relatait les jours les plus sombres de la Guerre de Sept Ans, où le grand roi, découragé,
avait déclaré à ses ministres que si, le 15 février, la chance ne tournait
pas un peu à son avantage, il s’empoisonnerait. Le sujet était d’actualité et
nul doute que Gœbbels ne l’eût lu en y mettant l’accent :
« Brave roi (lisait Gœbbels), patiente encore un peu
et tes épreuves cesseront bientôt. Déjà le soleil de la chance monte derrière
les nuages et se lèvera bientôt pour toi. Le 12 février, la tzarine mourut.
Ainsi se manifestait le miracle pour la Famille de Brandebourg. »
Les yeux du Führer, raconta Gœbbels à
Krosigk (dans le journal duquel nous trouvons ce récit touchant), « étaient
remplis de larmes (4) ».
Forts d’un tel encouragement – de source britannique ! – ils
se firent communiquer deux horoscopes, qu’Himmler conserva dans les archives d’un
de ses innombrables bureaux de « recherches ». L’un était l’horoscope
du Führer pour le 30 janvier 1933, jour de sa
prise du pouvoir ; l’autre, celui de la République de Weimar, composé par
un astrologue inconnu, le 9 novembre 1918, jour de la naissance de cette
République. Gœbbels communiqua le résultat de l’étude de ces documents
remarquables à Krosigk.
C’est stupéfiant : les deux horoscopes prédisent le
début de la guerre en 1939, des victoires jusqu’en 1941, puis la série de
revers, avec les épreuves les plus rudes pour les premiers mois de 1945, surtout
dans la première moitié d’avril. A la fin de ce même mois, nous devons
connaître quelques victoires passagères. Puis le calme plat jusqu’en août, et
la paix pour ce même mois. Pendant les trois années suivantes, l’Allemagne
devrait connaître des jours pénibles, mais dès 1948 commencerait son relèvement
(5).
Encouragé par Carlyle et les « stupéfiantes »
prédictions, Gœbbels adressa, le 6 avril, un vibrant appel aux troupes en
retraite.
Le Führer a déclaré qu’au cours de cette année le sort
tournera… La véritable qualité du génie, c’est sa lucidité et sa certitude des
changements à venir. Le Führer en connaît l’heure avec précision. C’est le
Destin qui nous a envoyé cet homme, afin que, dans nos terribles épreuves
extérieures et intérieures, nous puissions porter témoignage sur ce miracle (6)…
A peine une semaine plus tard, dans la nuit du 12 avril, Gœbbels fut convaincu que sonnait l’heure du miracle. Pourtant, les
mauvaises nouvelles avaient afflué dans la journée. Les Américains tenaient l’autoroute Dessau-Berlin et le haut commandement avait aussitôt
ordonné la destruction de ses deux dernières poudrières, qui se trouvaient dans
les environs. Désormais, les soldats allemands ne recevraient plus de munitions.
Gœbbels avait passé la journée au Q. G. du
général Busse, sur le front de
Weitere Kostenlose Bücher