Le Troisième Reich, T2
l’Oder, à Kuestrin. Le général lui assurait qu’une
percée russe était impossible et qu’il tiendrait « jusqu’à ce que les
Britanniques nous délogent à coups de pied au cul ». Gœbbels raconta l’anecdote
à Krosigk, le lendemain.
Le soir ils étaient rassemblés au Q. G. et Gœbbels avait exposé
sa thèse : selon la logique de l’Histoire et de la Justice, un changement
était imminent, de même que dans la Guerre de Sept Ans, le miracle était venu
au secours de la Maison de Brandebourg.
« Quelle tzarine mourra cette fois-ci ? » demanda
un officier.
Gœbbels l’ignorait. Mais le sort, répliqua-t-il, « permet
toutes les hypothèses ».
Quand le ministre de la Propagande revint à Berlin, tard dans la
nuit, le centre de la capitale brûlait, à la suite d’un raid de la R. A. F. Les
restes de la Chancellerie et l’hôtel Adlon , près de la Porte de Brandebourg, étaient en flammes. Sur les
marches du ministère, un secrétaire accueillit Gœbbels avec une nouvelle
urgente : « Roosevelt est mort ! »
Tous virent alors, à la lueur des flammes qui s’élevaient de la
Chancellerie de l’autre côté de la Wilhelmsplatz, s’éclairer
le visage du ministre.
« Apportez le meilleur Champagne ! s’écria Gœbbels. Et
appelez-moi le Führer au téléphone ! »
Au fond de son bunker, de l’autre côté de l’avenue, Hitler
attendait la fin du bombardement. Il prit le téléphone.
« Mon Führer ! haleta Gœbbels. Je vous félicite !
Roosevelt est mort ! Il est écrit dans les étoiles que la seconde moitié
du mois d’avril verra le tournant de notre destin. Nous sommes le vendredi 13 avril.
(Il était minuit passé.) L’heure a sonné ! »
Nous ne connaissons pas la réaction d’Hitler, mais on peut l’imaginer,
étant donné les encouragements qu’il avait tirés de Carlyle et des horoscopes. Quant
à Gœbbels, il était, dit sa secrétaire, « en extase (7) ».
Le comte Schwerin von Krosigk était dans le
même état. Quand le secrétaire de Gœbbels lui téléphona la nouvelle, il s’exclama
(comme nous le rapporte son fidèle journal) :
C’était l’Ange de l’Histoire ! Nous sentîmes autour de
nous le frémissement de ses ailes. N’était-ce pas le moment tant attendu où
devait tourner la roue du sort ?
Le lendemain matin, Krosigk téléphona à
Gœbbels pour le « féliciter » à son tour – c’est ce qu’il affirme
fièrement dans son journal – et, comme si cela ne suffisait pas, il lui envoya
une lettre où il saluait la mort de Roosevelt comme « un jugement divin… un
don de Dieu ».
C’est dans cette atmosphère d’asile d’aliénés, où des ministres
chevronnés, sortis des plus vieilles universités d’Europe, comme Krosigk et Gœbbels, se fiaient aux horoscopes et manifestaient une joie
délirante à l’annonce de la mort de Roosevelt, parce qu’ils la prenaient pour
un miracle destiné à sauver le Troisième Reich à la
onzième heure, c’est dans cette atmosphère que se joua le dernier acte.
Eva Braun était arrivée à Berlin pour
rejoindre Hitler, le 15 avril. Rares étaient les Allemands qui connaissaient
son existence et surtout la nature de ses relations avec le Führer. Depuis plus de douze ans, elle était sa maîtresse. Elle venait
maintenant, comme l’a dit Trevor-Roper, pour la cérémonie de son mariage et de
sa mort.
Son personnage n’offre aucun intérêt en dehors du rôle qu’elle
joua dans le dernier chapitre de l’histoire ; ce n’était ni une Pompadour, ni une Lola Montés [290] .
Hitler éprouvait une évidente tendresse pour Eva
Braun et trouva le repos auprès de cette femme discrète. Mais il l’avait
toujours tenue à l’écart des différents Q. G. où il passait son temps durant la
guerre ; il lui permettait même rarement de venir à Berlin. Elle restait
confinée au Berghof , à Obersalzberg, où elle
partageait son temps entre la nage ou le ski, les films et les romans-feuilletons.
Elle aimait aussi à danser (malgré la désapprobation d’Hitler) et à se
pomponner pendant des heures, tout en se languissant en l’absence de l’aimé. Elle
était, aux dires de Erich Kempka, le chauffeur du Führer, « la femme la plus malheureuse d’Allemagne.
La plus grande partie de sa vie se passait dans l’attente d’Hitler
(8) ». Au procès de Nuremberg, le feld-maréchal Keitel la décrivit en ces
termes :
Très mince, élégante, de jolies jambes – qu’elle
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