Le Troisième Reich, T2
l’Ouest.
En cas d’échec, Brauchitsch se joindrait à la conspiration pour
renverser le dictateur – c’était du moins ainsi que les conjurés le
comprenaient. Ils étaient dans un état de grande excitation et nageaient dans l’optimisme.
Gœrdeler, d’après Gisevius, dressait déjà la liste des ministres du
gouvernement provisoire anti-nazi ; Beck, plus modéré, dut le retenir. Seul
Schacht était des plus sceptiques. « Attendez seulement, les
avertissait-il, Hitler flairera le danger et ne prendra aucune décision demain. »
Comme toujours, ils se trompaient tous.
Brauchitsch, comme il fallait s’y attendre, n’arriva à rien avec
ses mémorandums, ses rapports des commandants de première ligne et ses propres
arguments. Quand il insista sur le mauvais temps à l’Ouest à cette époque de l’année,
Hitler rétorqua qu’il était aussi mauvais pour l’ennemi que pour les Allemands
et que, de plus, il pouvait ne pas être meilleur au printemps. Finalement, en
désespoir de cause, le faible chef de l’armée informa le Führer que le moral
des troupes à l’Ouest était le même qu’en 1917-1918, quand il y eut des
désertions, de l’insubordination et même des mutineries dans l’armée allemande.
A ces mots, Hitler, selon Halder (dont le journal est la
principale source de cette rencontre ultra-secrète), se mit en rage. « Dans
quelles unités ? » il voulait le savoir, « y a-t-il eu des cas d’indiscipline ?
Qu’est-il arrivé ? Où ? » Il voulait y voler en personne le
lendemain. Le pauvre Brauchitsch, note Halder, avait délibérément exagéré « afin
de dissuader Hitler », et maintenant il supportait toute la violence de sa
fureur effrénée. « Quelles sanctions le commandement a-t-il prises ? hurla
le Führer. Combien de condamnations à mort ont été prononcées ? » La
vérité était, tempêta Hitler, que « l’armée ne voulait pas se battre ».
« Poursuivre la conversation était impossible », dit
Brauchitsch à Nuremberg en rappelant sa malheureuse tentative. « Si bien
que j’abandonnai. » D’autres se souvinrent qu’il était arrivé en
chancelant au Q. G. de Zossen, à une trentaine de kilomètres, dans un tel état
qu’il fut tout d’abord incapable de donner un compte rendu cohérent de ce qui s’était
passé.
Ce fut la fin de la « conspiration de Zossen ». Elle
avait échoué aussi pitoyablement que le « complot Halder » au moment
de Munich. Chaque fois, les conditions exigées par les conjurés pour leur
permettre d’agir s’étaient trouvées remplies. Cette fois, Hitler s’était tenu à
sa décision d’attaquer le 12 novembre. En fait, Brauchitsch, effondré, eut
à peine atteint Zossen qu’on lui transmit confirmation de l’ordre par téléphone.
Quand Halder demanda qu’il fût envoyé par écrit, il obtint
immédiatement satisfaction. Ainsi, les conspirateurs avaient, en toutes lettres,
la preuve dont ils avaient prétendu avoir besoin pour renverser Hitler ; l’ordre
d’une attaque qu’ils considéraient comme désastreuse pour l’Allemagne. Mais ils
ne firent plus rien, sauf d’avoir peur. Il y eut une grande bousculade pour
brûler les papiers compromettants et en effacer les traces. Seul le colonel
Oster semble ne pas avoir perdu la tête. Il avertit les légations belge et
hollandaise à Berlin de s’attendre à une attaque le 12 novembre au matin (25).
Puis il partit sur le front Ouest pour une expédition
infructueuse, afin de voir s’il restait une possibilité pour enrôler le général
von Witzleben dans l’insurrection contre Hitler. Mais les
généraux, y compris Witzleben, savaient quand ils étaient
battus. L’ex-caporal avait une fois de plus triomphé d’eux avec la plus grande
facilité. Quelques jours plus tard, Rundstedt, commandant le groupe d’armées A,
convoqua ses généraux de corps d’armée et de division pour discuter les détails
de l’attaque. Tout en doutant toujours du succès, il leur conseilla d’oublier
leurs craintes. « L’Armée, dit-il, a reçu sa tâche, et elle remplira cette
tâche ! »
Le lendemain du jour où il avait poussé Brauchitsch jusqu’au
bord de la dépression nerveuse, Hitler rédigea le texte des proclamations aux
Hollandais et aux Belges justifiant son attaque. Halder a
noté le prétexte : « Les Français pénètrent en Belgique. »
Mais le jour suivant, le 7 novembre, au grand soulagement
des généraux, Hitler
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