Le Troisième Reich, T2
clair. L’attentat avait été monté à l’instigation
de l’Intelligence Service, dont deux chefs, Stevens et
Best, avaient été arrêtés « à la frontière germano-hollandaise », le
lendemain de l’explosion. Un charpentier allemand du nom de Georg
Elser, communiste résidant à Munich, était présenté comme l’exécuteur du
« forfait ».
Le compte rendu détaillé du crime par Himmler me
parut « louche », comme je l’écrivis dans mon journal le même jour. Mais
son travail me parut très réel. « Où Himmler et son
gang veulent en venir, évidemment, notai-je, c’est : convaincre le crédule
peuple allemand que le gouvernement britannique a essayé de gagner la guerre en
tuant Hitler et ses principaux collaborateurs. »
Le mystère de l’attentat n’a jamais été complètement éclairci. Elser, bien qu’il ne fût pas aussi idiot que Marinus van der Lübbe, l’incendiaire du Reichstag, était
un homme assez borné mais tout à fait sincère. Non seulement il plaida coupable
d’avoir fabriqué et mis en place la bombe, mais il s’en vanta. Naturellement, il
n’avait jamais rencontré ni Best ni Stevens avant l’attentat,
mais il fit la connaissance du premier durant les longues années d’internement
au camp de Sachsenhausen. Là, il raconta à l’Anglais une histoire
longue et embrouillée – et pas toujours logique.
Un jour d’octobre, affirma-t-il, au camp de Dachau, où il était incarcéré depuis la mi-été comme sympathisant communiste, il
avait été appelé au bureau du commandant du camp, où il fut présenté à deux
étrangers. Ils exposèrent la nécessité d’en finir avec quelques-uns des « traîtres »
partisans du Führer en faisant exploser une bombe à la Buergerbräukeller immédiatement après qu’Hitler aurait
terminé son allocution habituelle, le soir du 8 novembre, et qu’il aurait
quitté la salle.
La bombe devait être placée dans un pilier derrière l’estrade de
l’orateur. Puisque Elser était un ébéniste habile, électricien
et bricoleur, ils le jugeaient capable d’accomplir le travail. S’il acceptait, on
le ferait évader en Suisse, muni d’une somme suffisante pour y vivre
confortablement. En gage de leur sincérité, ils lui promirent, dès à présent, un
traitement de faveur au camp : meilleure nourriture, vêtements civils, cigarettes
en abondance – c’était un fumeur enragé – et un établi et des outils de
charpentier.
Elser fabriqua donc une bombe rudimentaire mais efficace, pourvue
d’un mécanisme de réveil pouvant marcher une semaine et, en plus, d’un
dispositif détonateur électrique, déclenché par un simple interrupteur. Elser
affirmait qu’il fut emmené, une nuit du début de novembre, dans la cave de la
brasserie, où il installa son dispositif dans le pilier désigné.
Le soir du 8 novembre, à peu près à l’heure où la bombe
devait éclater, ses complices le conduisirent, dit-il, à la frontière suisse, lui
donnèrent une somme d’argent et – prévoyance curieuse – une carte postale
représentant l’intérieur de la brasserie, le pilier où il avait placé la bombe
étant marqué d’une croix. Mais, au lieu d’être aidé à traverser la frontière – et
cela paraît avoir surpris cet homme obtus, – il fut pincé par la Gestapo, lui, la
carte postale et l’argent. Plus tard, on le cuisina pour l’amener à
compromettre Best et Stevens lors du procès dont il serait le personnage
central [30] .
Le procès n’eut jamais lieu. Nous savons maintenant qu’Himmler,
pour d’excellentes raisons personnelles, n’osa pas le faire juger. Nous savons
aussi – maintenant – que Elser vécut à Sachsenhausen puis à Dachau, jouissant, sans
doute sur les ordres exprès d’Hitler qui avait personnellement tiré tant de
bénéfice de cet attentat, d’un traitement relativement humain étant donné les
circonstances. Mais Himmler l’eut à l’œil jusqu’au bout. Il ne fallait pas que
le charpentier survive à la guerre pour raconter son histoire. Peu de temps
avant la débâcle, le 16 avril 1945, la Gestapo annonça que Georg Elser
avait été tué au cours d’un bombardement allié le jour précédent. Nous savons
maintenant que la Gestapo l’assassina (30).
HITLER PARLE A SES GENERAUX
Ayant échappé à l’attentat – c’était du moins ainsi que l’affaire
était présentée – et étouffé la méfiance chez ses généraux, Hitler poussa ses
plans pour la
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