Le Troisième Reich, T2
à l’Est et que l’Allemagne eut annexé officiellement ses anciennes
provinces et d’autres territoires de l’Ouest, fut appelé, par décret du Führer
du 12 octobre : Gouvernement général de Pologne. Hans Frank fut nommé
gouverneur général, et Seyss-Inquart, le Quisling viennois, son adjoint. Frank
était un exemple typique du gangster intellectuel nazi. Ayant joint le parti en
1927, peu après avoir terminé son droit, il acquit rapidement la réputation d’être
la lumière juridique du mouvement.
Esprit vif, énergique, versé non seulement en droit mais en
littérature générale, ami des arts et spécialement de la musique, il devint une
autorité juridique après la prise de pouvoir des nazis ; d’abord ministre
de la Justice en Bavière, il fut ensuite ministre du Reich sans portefeuille et
président de l’Académie de droit et de l’Association du barreau allemand. Très
brun, fringant, fanfaron, il était père de cinq enfants ; son intelligence
et sa culture, compensant en partie son fanatisme primitif, avaient fait de lui
jusqu’à cette époque l’un des personnages les moins rebutants de l’entourage d’Hitler.
Mais sous le vernis de l’homme civilisé se cachait le froid
tueur. Le journal en 42 volumes qu’il tenait de sa vie et de ses travaux, produit
à Nuremberg [31] ,
est l’un des documents les plus terrifiants issus du sombre monde nazi ; il
dépeint son auteur comme un homme glacial, capable, impitoyable, sanguinaire. Apparemment
il n’avait omis aucune de ses outrances barbares.
« Les Polonais, déclarait-il le jour suivant son entrée en
fonctions, seront les esclaves du Reich allemand ». Quand il apprit un
jour que Neurath, le « Protecteur » de la Bohême, avait fait afficher
l’exécution de 7 étudiants de l’Université tchèque, Frank s’exclama devant un
journaliste nazi : « Si je devais ordonner qu’on pose des affiches
chaque fois qu’on fusille 7 Polonais, il n’y aurait bientôt plus assez de
forêts en Pologne pour fabriquer le papier nécessaire à ces affiches (38). »
Himmler et Heydrich étaient chargés par Hitler de liquider les
Juifs. Frank, en plus des réductions de nourriture et de l’organisation du
travail forcé hors de Pologne, avait tout spécialement la tâche de liquider l’intelligentzia.
Les nazis avaient un magnifique indicatif pour cette opération : « Action
extraordinaire de Pacification » ( Ausserordentliche Befriedigungsaktion ou « Action AB » comme on l’appela par la suite).
Il fallut du temps à Frank pour la mettre en train. Ce ne fut
pas avant la fin du printemps suivant, quand la grande offensive allemande à l’Ouest
détourna l’attention mondiale de la Pologne, qu’il commença à obtenir des
résultats. Le 30 mai, son journal l’indique, il pouvait se vanter, au
cours d’un entretien avec ses aides policiers, de grands progrès – la vie de « quelques
milliers » d’intellectuels polonais supprimée, ou sur le point de l’être.
« Je vous prie, messieurs, demanda-t-il, de prendre les
mesures les plus rigoureuses possible pour nous aider dans cette tâche. »
II ajouta en confidence que c’étaient « les ordres du Führer ». Hitler,
dit-il, les avait exprimés ainsi :
« Les hommes capables de diriger en Pologne doivent
être liquidés. Ceux qui les suivent… doivent être supprimés à leur tour. Il est
inutile d’imposer ce fardeau au Reich… absolument inutile d’envoyer ces
éléments dans les camps de concentration du Reich. »
On s’en débarrassera ici, dit-il, en Pologne (39). A la réunion,
Frank le nota dans son journal, le chef de la Police de Sécurité fit son
rapport. Environ 2 000 hommes et plusieurs centaines de femmes, dit-il, avaient
été appréhendés « au début de l’Action extraordinaire de Pacification ».
La plupart ont déjà été « jugés immédiatement » – un euphémisme nazi
pour liquidation. Une seconde fournée d’intellectuels était maintenant ramassée :
« pour jugement immédiat ». Un total d’ « environ 3 500
personnes », les plus dangereuses de l’intelligentzia polonaise, feront
ainsi l’objet des soins nazis (40).
Frank ne négligeait pas les Juifs, même si la Gestapo s’était
octroyé le travail de l’extermination directe. Son journal est plein de ses
pensées et de ses actes sur ce sujet. Le 7 octobre 1940, il note un
discours qu’il prononça ce jour-là lors d’une assemblée
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