Le Voleur de vent
conviction que le roi
sera assassiné sans qu’il soit possible d’empêcher la chose, à quoi bon se
battre, à quoi bon exposer la vie de l’amiral de Nissac, pourquoi lutter ?
L’abbé réfléchit longuement à ces paroles qui,
visiblement, l’ébranlaient. Une nouvelle fois, il regarda autour de lui avec
méfiance.
— Il faut se battre et tuer un nombre
élevé de régicides car telle engeance n’a point sa place ici-bas.
— Ce n’est point là raison suffisante.
— Il faut se battre et montrer qu’on ne
tue pas si facilement roi de France, comme on le fit pour Henri troisième. Si
le roi est assassiné, ils seront deux monarques à la suite à connaître pareil
destin tragique. Et le prochain roi ne sera en aucun instant en sécurité.
— Ce n’est pas raison suffisante, l’abbé !
— Il faut se battre pour affirmer que
derrière le roi, c’est l’État, et derrière l’État, la France, et que celle-ci
tout entière ne saurait soumettre son sort au cheminement du couteau d’un
assassin.
Stéphan de Valenty hocha lentement la tête et
répondit :
— Ces trois raisons en font une et des
meilleures, cousin, tu m’as convaincu. Et pourtant, j’en vois une quatrième.
Luc de Fuelde, qui pensait à ces choses jour
et nuit, n’imaginait pas qu’aspect de la question ait pu lui échapper.
Masquant son anxiété, il demanda :
— Quelle est-elle, Stéphan ?
— Il faut se battre pour la beauté du
geste et amour des causes perdues. Vois-tu, c’est là raison qui séduira Nissac
qui est ennemi de la facilité.
L’abbé resta un instant sans voix, tant cette
réponse lui parut surprenante, puis :
— « L’amour des causes perdues »…
« La beauté du geste »… Mais cela n’a point de sens, on n’agit pas, en
la vie, pour la beauté, ne crois-tu pas ?
Stéphan de Valenty sentit que cette fois, il
dominait enfin son cousin de la tête aux pieds. Il fut sans pitié.
— On agit pour la beauté lorsque votre
âme est belle… Tu devrais méditer là-dessus, cousin, car ce serait méditer sur
la signification de l’existence !…
47
Henri quatrième avait entraîné le comte de
Nissac et la baronne Isabelle de Guinzan en les jardins des Tuileries mais, au
long de « la galerie du bord de l’eau », il n’avait point prononcé
une parole. Ce jour-là, et bien que ce ne fût pas toujours le cas, loin s’en
faut, il était richement vêtu : pourpoint de soie et satin noir et blanc, chemise
de satin jaune, bas de soie, manteau d’écarlate rouge avec parements d’or et d’argent,
chapeau de castor avec panache de plumes blanches…
Le roi, usant de sa manœuvre familière qui
réussissait si bien avec certains, dont son confesseur le Père Coton, allongea
le pas en l’intention d’essouffler ses invités et de prendre ainsi ascendant
sur eux.
Malheureusement pour lui, l’amiral de Nissac
semblait absolument infatigable quand Isabelle de Guinzan, qui paraissait par
instants garçon manqué, caracolait en tête sans éprouver la moindre fatigue.
Si bien que ce fut le monarque lui-même qui, bientôt,
sentit accélération des battements de son cœur quand le souffle, brusquement
trop court, lui manquait.
Ravalant sa fureur, son plan ayant échoué, il
prit ton faussement jovial :
— Ah çà, où allons-nous si vite ?… Nous
serons aussi bien ici car ce que j’ai à vous dire, Nissac, est assez bref.
Nissac, le regard perdu vers la Seine, répondit
distraitement d’un signe de tête, car il aimait cette rivière en la ville de
Paris.
Voyant là nouvelle insolence, le roi fut
cramoisi mais une fois encore il se contint, ayant arrêté sa décision d’éviter
toute colère.
Quant à Isabelle, fascinée, elle regardait l’amiral,
ses traits durs et ses yeux d’enfant, les belles plumes vertes, bleues et
blanches de son chapeau qu’un vent léger paraissait caresser. Elle aussi avait
remarqué l’attitude distraite, presque désinvolte, du comte de Nissac et elle
songea : « On penserait que c’est lui le roi, tant sa noblesse est
naturelle, quand Henri quatrième, vieux barbon, semble son valet. »
Henri quatrième, qui avait bien préparé sa
vilaine affaire, se fit flatteur.
— Nissac, un mot pour vous remercier d’avoir
fait respecter et craindre mon pavillon en toutes les mers du Levant. Je sais
vos éclatantes victoires, votre courage à un contre dix, l’honneur avec vous
toujours sauf. Je sais également qu’on ne
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