Le Voleur de vent
de leurs beaux vaisseaux de ligne au large de La Linea de La
Concepción. Vous devez humilier l’Espagne, que le noiraud rase les murs de son
palais de l’Escurial. Vous agirez avec votre magnifique équipage, mais sans Le Dragon Vert.
— Sans mon
navire, Sire ?… Mais de quelle utilité serais-je ?
— Votre troupe appartient à l’élite de l’élite,
à terre comme sur mer car vous l’avez superbement formée. Tous se connaissent
et savent pouvoir compter les uns sur les autres ce qui, en les choses
militaires, fut de tout temps grand avantage, tel aux Thermopyles, souvenez-vous
en. Partagez-vous ce point de vue ?
— Tout à fait, Sire.
Henri quatrième soupira d’aise. Plus de la
moitié du chemin était parcourue, il fallait aller au terme, arracher un « oui »
à Nissac car un homme tel que lui préférerait mille morts plutôt que reprendre
sa parole.
— Nissac, vous agirez sans votre bateau
ni le drapeau à fleurs de lys. Vous et votre troupe ne serez personne et, même
si l’on s’en doute, on ne doit point savoir que vous relevez de moi. Comprenez-vous ?
— Je comprends, Sire.
— Fort bien !… Si vous êtes capturé,
ne parlez point. Pris, je ne vous défendrai pas et feindrai de ne vous pas
connaître. Si vous mourez, vous, vos officiers et vos hommes ne serez point
enterrés religieusement, car les évêques espagnols le refuseront, et vos corps
iront pourrir en la voirie. Acceptez-vous sort si atroce ?
— Vous servant et servant la France, je l’accepte
tel un honneur, Sire !
« Pourquoi dois-je perdre un tel homme, et
pour rien, quand je n’en ai point deux de semblables en tout le royaume ? »
songea le roi avec tristesse.
Néanmoins, il poursuivit :
— Vous frapperez l’Espagnol au nord et au
sud, deux fois, deux coups terribles et la distance est si grande entre ces
deux affaires, et vous irez si vite de l’une à l’autre, qu’on croira que l’Espagne
est frappée partout au même instant. Si vous réussissez, les alliés de Philippe III
fléchiront en leur confiance quand les nôtres y trouveront motifs à s’engager
toujours davantage au côté de la France car sachez-le, Nissac, la guerre est
proche.
— Où dois-je attaquer, Sire ?
— Au sud, à la frontière où ils
construisent un redoutable fort qui pourrait bientôt prendre sous ses canons
les troupes du duc de La Force, gouverneur du Béarn et de Guyenne. Au nord, en
région de glace, une de leurs flottes de guerre au mouillage.
— Ainsi, je l’attaquerai depuis la terre ?
Henri quatrième, qui n’était point à son aise,
dut répondre à la question :
— Je sais bien, Nissac, que la chose est
impossible mais, si vous réussissiez pourtant semblable affaire, vous sèmeriez
la panique sur tous les navires espagnols, et en le monde entier. Nissac, vous
seul le pouvez, et si vous échouez, c’est que nul autre au monde ne le peut
faire. Ah, Nissac, vous savez bien que, face aux Espagnols, la flotte française
ne pèse rien. Il faut que les galions de Philippe III restent en leurs
ports sans attaquer mes convois marchands, il faut que les capitaines espagnols
demeurent sourds aux ordres qu’ils recevront de nous attaquer, prétextant mille
avaries. Nissac, le tenterez-vous ?
— Je le ferai, Sire !… répondit
Nissac d’une voix un peu lointaine car tout en lui s’était glacé, sachant qu’il
ne pouvait espérer survivre à pareilles aventures. Mourir, il y était résolu
depuis qu’il avait pour la première fois posé le pied sur le pont d’un navire, mais
mourir sans avoir osé avouer son amour à la femme qui, à ses côtés, le
regardait avec de grands yeux effarés, oui, mille fois oui, cela lui coûtait.
Henri quatrième savait à présent qu’il l’avait
emporté en ce combat douteux mais il n’en tirait nulle joie, nul bonheur. Nissac,
si vivant à son côté, Nissac n’était déjà plus qu’un cadavre, plus que le souvenir
d’un officier supérieur exceptionnel, courageux, compétent et modeste mort sans
doute sans un cri, sans un mot, en soldat de tradition.
Le roi, sur lequel s’abattait grande tristesse,
parvint à se convaincre que ce qu’il avait dit correspondait à la vérité. Ces
objectifs militaires certes inatteignables, qui pouvait discuter leur
importance capitale ?
Pourtant, Henri quatrième n’avait plus qu’un
but : oublier !… Oublier Nissac, sa loyauté, sa fidélité, et qu’il
faisait pourtant assassiner
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