Le Voleur de vent
l’obligation de revoir leur avis !…
Il se tourna vers son second :
— Veilles-y, je ne veux pas un seul
survivant.
58
Isabelle de Guinzan ne variait guère de l’état
de grande fascination en lequel la mettait le comte de Nissac.
Insensible à toutes choses, du moins en
apparence, il avait précisé la route, calculant au plus juste les vents et les
courants.
Satisfait, il quitta la dunette pour gagner le
pont supérieur et y donner quelques ordres aux quatre charpentiers de bord mais,
innovant sans cesse et sans que bousculer l’usage courant parût lui peser, Nissac
avait fait engager parmi ses fantassins des volontaires s’intéressant au
travail du bois. Huit hommes qui partageaient cette passion avaient été formés
assez correctement. Ainsi, contrairement aux autres capitaines, l’amiral
disposait de trois fois plus de charpentiers. Il avait agi de même avec les
voiliers.
Sans s’attarder, il alla à grands pas trouver
le chirurgien qui lui-même, depuis quelque temps, apprenait à un soldat les
usages de son art.
Nissac serra les mâchoires. Sept de ses marins
étaient morts, et trois autres condamnés. Le chirurgien n’avait point grande
alternative. Lui amenait-on blessé aux membres, il sciait le bras ou la jambe
atteint, et l’homme pouvait peut-être survivre. Pour les autres, gravement
touchés à la poitrine ou l’abdomen, il n’était rien à faire qu’attendre que la
mort les délivre de leurs souffrances.
Les blessures étaient atroces. Beaucoup, en
les villes et les campagnes, qui n’entendent rien aux guerres des océans, s’imaginent
que la mort d’un marin, à l’exclusion des combats d’abordage, survient du fait
d’un boulet qui l’atteint. Ce n’est là qu’une partie des choses car plus
souvente fois, les événements ne se passent point ainsi qu’on le croit
communément. Lorsqu’un boulet traverse le flanc d’un navire, il projette
plusieurs dizaines d’éclats de bois avec très grande vitesse et grande force
qui se fichent partout en les corps, les traversant et lacérant en les pires
tourments et douleurs qui se puissent imaginer.
Nissac ordonna qu’on alignât les mourants et
les hommes condamnés sur le gaillard d’avant et leur fit donner à chacun
eau-de-vie à volonté. Il se baissa alors près d’eux et, accroupi sur les talons
de ses bottes, leur parla très longuement, sans que nul autre puisse entendre
cette conversation.
Se redressant enfin, il adressa un bref
sourire à Isabelle et s’en retourna voir les charpentiers et voiliers.
Les dommages étaient nombreux, mais point de
gravité extrême. Des boulets avaient touché le mât de beaupré mais le mât de
misaine, le grand mât et le mât d’artimon furent épargnés quand la grand-vergue,
elle, était atteinte à tribord. Des haubans et enfléchures ne se trouvaient
point indemnes, l’étai du mât d’artimon avait été coupé net. La coque, par
bonheur, n’avait point trop souffert. On se mit aussitôt au travail, un
va-et-vient incessant de marins montant des rouleaux de la cale à filins ou de
la toile depuis le magasin du voilier. Les hommes allaient vite en besogne et Le
Dragon Vert ne perdait point trop de vitesse, ce manque se trouvant au
reste compensé par les manœuvres habiles de Nissac qui savait toujours se
placer sous le vent du mieux qu’il fut possible.
Depuis la poupe, l’amiral contemplait, au loin,
les voiles de L’Eldorado qui ne gagnait point de terrain, mais n’en
perdait pas non plus.
Isabelle rejoignit Nissac.
— Quel est ce vaisseau ?
— L’Eldorado est un galion de
prise. Les Espagnols l’ont perdu voici deux ans du côté de Samothrace, quand je
me trouvais moi-même entre Rhodes et les Cyclades. Il n’y eut pas de survivants.
— Et son capitaine ?
— Un certain William Pelhman.
— Quel homme est-il ?
Nissac savait ce qu’il en était : Pelhman,
un Anglais de Plymouth cruel et cupide, qui ne respectait point sa parole et
faisait des manières d’hypocrisie. Lorsqu’il capturait une femme sur un
vaisseau, ainsi une grande dame ou demoiselle d’Espagne, il la violait pendant
des jours puis, lassé, la faisait précipiter à la mer, nue, afin de revendre
ses vêtements. Nissac se demandait si ce n’était point là usage courant des
hommes d’Angleterre, réputés ne point être de grande affection avec les femmes,
car il se souvenait d’avoir lu en les chroniques semblable affaire. Ainsi de
Salisbury et du
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