Le Voleur de vent
demeurait toujours une très grande puissance, mais fragile devant l’audace
et toutes les Cours d’Europe savaient, les agents d’Henri quatrième y ayant
veillé, que la France n’était point étrangère aux malheurs qui frappaient Philippe III.
Enfin, Le Dragon Vert fut immobilisé à
quai.
Vêtus avec grand soin, rasés de frais, les
marins et soldats descendirent du bâtiment. D’abord vinrent ceux qui portaient
les blessés sur des civières, puis arriva la troupe encadrée par ses officiers.
Ils défilaient en ordre impeccable au milieu d’un
silence pesant, les talons des bottes frappant les quais. Puis, un marin
distingua sa promise en la foule. Ils étaient tous deux très jeunes et s’aimaient
très fort si bien que sans s’en rendre compte et en le temps d’un soupir, faisant
un pas vers elle en lui adressant sourire et clin d’œil, le jeune homme venait
de changer l’atmosphère du tout au tout.
Brusquement anxieux, le jeune marin se
retourna vers la dunette et des milliers d’yeux suivirent son regard mais l’amiral
de Nissac, un vague sourire aux lèvres, hocha la tête et à la gravité succéda
aussitôt explosion de joie populaire. Par centaines, on jetait des fleurs sur
les vainqueurs qui défilaient. Le roi, voyant ses rudes marins et soldats
fleurir d’œillets les canons de leurs mousquets et arquebuses, ressentit très
vive émotion en ce milieu qui était davantage le sien que celui des gens de
Cour et il ne put empêcher que les larmes lui vinssent aux yeux tandis qu’il
frissonnait de la tête aux pieds.
La vie et la beauté l’emportaient. Car quels
que fussent les visages des soldats et marins, revenus victorieux et souriants
des frontières du royaume des morts, tous paraissaient beaux.
À leur passage devant la tribune royale, les
tambours qui allaient en tête battirent tandis que drapeaux et étendards s’inclinaient
devant le monarque et que les officiers du galion tiraient l’épée.
Enfin, suivi des officiers qui lui étaient
proches en l’amitié, c’est-à-dire Paray des Ormeaux, Sousseyrac, Fey des Étangs,
Valenty et le seigneur Yasatsuna, on vit le comte de Nissac, amiral des mers du
Levant, qui tenait la comtesse sa femme par la main, geste presque enfantin qui
désarma tous les cœurs.
La jeune femme était rayonnante de beauté en
une robe de velours bleu parsemé d’étoiles d’argent. Le comte était égal à
lui-même, élégant et félin, les yeux gris légèrement ironiques, les belles
plumes blanches, vertes et bleues de son chapeau ondoyant sous la caresse du
vent.
Henri quatrième, qui le regardait avec
tendresse, songea combien il eût aimé avoir pareil fils. Il ressentit amitié et
profonde admiration pour cet homme qui cachait sous attitude hautaine
sentiments de grande humanité, un homme qui aurait dû mourir vingt fois et s’en
revenait victorieux, souriant et modeste. Il avait survécu à tout, triomphé
chaque fois, et paraissait payé de tant de peines par la joie simple de revenir
en son port d’attache en tenant la femme qu’il aimait par la main.
Bousculant la garde surprise, renversant une
barrière, le roi se précipita et, sous les cris de joie de la foule et des
soldats, il s’avança vers Nissac qu’il pressa contre son cœur.
Le roi n’avait
accepté à sa table que le comte de Nissac, la comtesse et Bassompierre, au
grand dépit de Guise, gouverneur de Provence.
C’était, de la part du monarque, idée
fantasque mais, avisant maison sur le port avec vue splendide et petite
terrasse ombragée d’une tonnelle de glycines, il avait demandé au propriétaire
des lieux, un avocat, s’il consentait à prêter sa maison au roi de France le
temps d’un repas avec ses amis.
L’homme crut défaillir de bonheur, lui qui
précisément depuis le matin n’avait qu’un souhait, être remarqué du monarque.
Transpirant sous un chapeau de castor et un
manteau de drap du Berry, il avait cédé les lieux avec mille grâces et le roi
se trouvait en bonne satisfaction d’être ainsi à table face à l’amiral et sa
belle épouse en ayant sous les yeux le très impressionnant Dragon Vert qui lui inspirait mille rêves et dont il imaginait les puissantes batteries
crachant sur l’ennemi feu impitoyable.
Il faisait très beau temps, ensoleillé, agréable,
ciel très bleu se trouvant vide de nuages, les glycines bruissant au-dessus des
convives sous la caresse d’un vent léger.
Faisant venir les plats d’une
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