Le Voleur de vent
intéressé :
— Très bien. Alors rappelez-moi donc les
termes de ma mission.
Richelieu se troubla.
— Eh bien… Vous deviez porter rudes coups
aux comploteurs.
— Qu’ai-je fait d’autre ?… Je viens
de totalement détruire ce « Troisième Cercle » qui tant vous
effrayait vous tous qui n’entreprenez jamais rien l’épée à la main.
Richelieu connaissait depuis peu cette
nouvelle, apprise pendant le sacre et qu’on se répétait de bouche à oreille.
— Sans doute, et je vous en félicite…
Nissac le coupa :
— Je n’ai que faire de vos félicitations.
Venez-en au fait, voulez-vous ?
— Vous devez tout arrêter. Le mieux
serait que vous repreniez votre service en mer où vous êtes irremplaçable.
— Et le « Deuxième Cercle » ?…
Et ce Ravaillac ?
— C’est là tout le problème. Vous êtes
intelligent et ce que je m’en vais vous dire devrait vous apparaître étant la
vérité. Voyez-vous, vous ne pouvez tenter de déjouer le complot contre le roi. On
ne vous a jamais demandé pareille chose et d’autres s’en occupent avec zèle. Allant
en les mêmes lieux et suivant les mêmes pistes que les différentes polices
requises pour cet office, vous gênez, vous embarrassez, si bien que vos actions
auront effet contraire de ce que vous recherchez, et qui est de sauver le roi. Votre
tâche consistait simplement à porter rudes coups aux comploteurs et vous avez
réussi au-delà de toute espérance. Ce « Troisième Cercle »
constituait la grande, la seule véritable menace, aujourd’hui dissipée grâce à
vous. Voyons, que reste-t-il ?… Un assassin isolé, ce Ravaillac sans doute
hésitant !… La demi-douzaine de drôles du « Deuxième Cercle » ?…
Mais si peu d’individus, l’escorte en viendra facilement à bout !
L’amiral de Nissac ne répondit pas, se
pénétrant des paroles de Richelieu.
— Je sais, et c’est très sage, que vous venez
de renvoyer à Rouen la plus grande partie de vos hommes…
« Comment le sait-il déjà ? »
songea Nissac qui en effet, pour la phase finale, ne conservait que
quatre-vingts marins et soldats, les autres étant déjà repartis vers Rouen avec
cependant ordre de s’arrêter à vingt lieues, au cas où… mais ce détail, l’évêque
l’ignorait.
Nissac, sortant de ses pensées, parla à voix
basse, comme pour lui-même :
— Comme il serait doux de vous écouter !…
Quitter tout cela, en effet, qui n’est point mon monde, retrouver les choses
que je connais, mon navire, la mer… Me laisser bercer par vos paroles et
lâchement me conforter en le sentiment que j’ai fait ce que l’on attendait de
moi, que j’ai en effet accompli mon devoir. Si vous saviez combien vous me
tentez, combien tout soudainement je me sens lâche car je le sais, j’ai tout à
gagner en partant à l’instant, et tout à perdre en demeurant. Et pourtant, je
ne partirai point.
— Mais pourquoi ?… demanda Richelieu,
tout de même touché par la sincérité de l’amiral et ému par l’âpreté de son
conflit de conscience.
— Voyez-vous, planent en l’éther les âmes
de mes marins et soldats tombés en grand nombre et parfois si loin, en terre
étrangère, pour sauver le roi. Si toutes ces aventures, tous ces morts et tous
ces combats ne devaient point avoir de sens, si je n’essayais pas tout jusqu’au
bout, alors je ne guérirais jamais de pareille blessure.
Il se tut un instant et reprit avec tristesse :
— Vous tenterez quelque chose contre moi ?
Richelieu eut un geste las.
— Tout sera tenté contre vous. Mais pas
par moi.
— Et si je m’en allais trouver le roi ?
— Il vous aime, Nissac, mais ne vous
recevrait plus. Lui aussi est résigné à mourir. On ne se bat pas…
Il hésita, puis :
— Je refuse de renoncer à tout pour un
homme qui ne se veut point défendre. Il est vieux, fatigué. Il ne veut plus d’espoirs.
Son parti est déjà pris. Voyez-vous, Nissac, même vos adversaires vous estiment,
bien des gens vous aiment… mais vous gênez tout le monde.
Nissac sentit venir une nausée de dégoût et de
désespoir. Pour la dernière fois de sa vie, il regarda le futur cardinal :
— Puisqu’un jour vous serez tout, faites
bon usage de ce pouvoir.
Il ouvrit la portière et sortit sans ajouter
un mot.
Demeuré seul en son carrosse, Richelieu songea
qu’il était sans doute le premier à voir Nissac aller tête basse, en vaincu. Puis
il se dit : « Quel
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