Le Voleur de vent
dommage !… Ce que j’aurais pu accomplir avec
un tel homme à mes côtés ! »
Des nuages sombres s’accumulaient en le ciel. Il
faisait lourd, à présent, mais l’orage ne semblait point décidé à éclater.
Le vieil homme, très
fier de lui, montra son travail à l’ambrosien. Il s’y consacrait depuis
quarante-cinq ans, d’abord en son Autriche natale et depuis une dizaine d’années,
en France.
Il tendit une des deux arquebuses, de
dimensions trois fois plus réduites qu’un modèle courant.
— Facile à dissimuler sous une cape. Trois
fois moins encombrante, quatre fois et demie plus légère, cinq fois plus
précise. C’est l’œuvre de toute une vie.
— Les deux fonctionnent ?… demanda
le moine défiguré.
— Prêtes à servir.
— Et les balles ?
Le vieil homme exhiba une dizaine de balles.
— Elles sont en « pierre lourde [27] », un minerai suédois moins dur que l’acier mais qui ne se
déforme point sous le choc. Elles ressortiront du corps et échapperont à toutes
recherches si bien qu’on ne pourra leur imputer la mort de qui vous voulez tuer.
— Mais… leur taille est…
Le vieil homme sourit et, coupant le moine :
— Pas plus grosses que des crottes de
lapin. En le cerveau, cela suffit pour causer dommages irréparables.
— Vous avez bien travaillé.
— Je souhaite quitter le royaume de
France au plus vite.
L’ambrosien grimaça, rendant son visage encore
plus hideux si, toutefois, la chose avait été possible. Il regarda le vieil
homme. C’est à lui qu’il avait remis l’or provenant des trésors pillés en les
églises et les châteaux, à quoi s’ajoutait, détournée, une partie de l’or des
conspirateurs et celui de l’Espagne : le vieillard était fabuleusement
riche et visiblement ne souhaitait plus que rejoindre cette fortune déjà à l’abri
en son Autriche natale.
— Hélas, répondit l’ambrosien, ta très
belle aventure s’arrête ici, en ton vieil atelier…
Il sortit un poignard.
Une heure plus tard, le corps du vieil
Autrichien avait totalement disparu, rongé par les acides et brûlé par le feu.
Demeuraient en la possession du moine défiguré
les deux arquebuses, ces bijoux de conception absolument nouvelles, et les
balles en « pierre lourde ».
Pour abattre gibier de choix…
97
Le roi s’était fait raconter par le menu
affaire du « Troisième Cercle », ou du moins ce qu’on en savait par
les gens de police arrivés rapidement sur les lieux. Ainsi avait-on découvert
une cinquantaine de corps, certains décapités ou membres sectionnés à la hache.
On disait déjà que le fine fleur des spadassins avait été exterminée et, si
certains se demandaient par qui, à la Cour, la chose était sans mystère.
Le roi, las, se tourna vers Bassompierre :
— Hormis toi-même, Sully et quelques
autres, il ne me reste que Nissac et son équipage qu’il a su dévouer à ma cause
jusqu’au fanatisme.
Il sourit.
— Plus royalistes que je ne le suis
moi-même à présent !
Il observa un vol de corbeaux qui lui fit
vilaine impression et poursuivit :
— Bassompierre, après ma mort…
Le futur maréchal le coupa avec violence :
— Non, Sire !
Quoique touché par accent de sincérité qui ne
le trompait point, Henri quatrième ignora l’interruption :
— Après ma mort, fais connaître à Nissac
que je l’ai aimé. Comme un jeune frère fougueux qui m’effrayait mais me faisait
rêver. J’ai toujours eu peur pour lui mais non sans égoïsme, j’en voulais
toujours davantage. On parle de diable, de magicien à tout propos… Le seul
magicien que j’aie connu jamais, c’est bien cet amiral du diable avec son franc
sourire et ses étranges yeux gris.
— Sire, vous lui direz vous-même pendant
cette guerre qui vient. Je connais Nissac, son Dragon Vert va ravager
les côtes d’Espagne, interdire l’entrée des ports, couler des flottes entières.
Par mer, les troupes de Philippe III ne recevront plus un homme, et pas
les moindres vivres.
Le roi rêva un instant, un vague sourire aux
lèvres. Puis :
— Je serai tué demain. Vois-tu, on ne
peut rien contre un homme prêt à sacrifier sa vie pour prendre celle d’un roi. Cette
guerre n’aura pas lieu. Toujours avant que de les livrer, j’imagine les
batailles. Cette fois, nulle image ne me vient. Je n’irai donc pas car ils m’auront
tué avant. Trop me haïssent, des parloirs des couvents aux salles du
Weitere Kostenlose Bücher