Le Voleur de vent
Parlement,
des cabarets aux locaux de la Milice, partout ce ne sont que vilaines paroles. Je
suis en la main de Dieu qui fera de moi ce qu’il voudra, mais qu’il fasse vite !
Le jeune homme
menait grand tapage et avait déjà frappé le tenancier de l’endroit, ainsi qu’un
paisible tapissier qui buvait tranquillement son vin, seul à une table, et
auquel il chercha mauvaise querelle.
Les gens de police ne se seraient sans doute
pas déplacés si le jeune homme demi-ivre ne clamait par ailleurs qu’il allait
sauver le roi, aidé cependant en cette mission par les autres marins du Dragon Vert sur lequel il servait.
Or, un ordre venait d’arriver concernant
officiers et marins du bâtiment royal de haute mer appelé Le Dragon Vert suspectés de complot collectif mettant en danger la vie d’Henri quatrième.
La capture d’un marin isolé du Dragon Vert fut nouvelle qui monta très vite et très haut vers certains sommets de l’État
où l’on s’intéressait de près à l’amiral de Nissac.
La duplicité de la police était affligeante
car la plupart de ses membres savaient Nissac et les siens innocents et les
seuls à se battre pour un roi de plus en plus abandonné et dont on attendait la
mort imminente.
Battu avec violence, le jeune marin avoua qu’il
n’appartenait plus à l’équipage du Dragon Vert, en ayant été chassé pour
une histoire de tête coupée qui n’intéressa point le lieutenant de police passé
depuis quelques heures à la subversion.
On parvint sans peine à convaincre le jeune
marin qu’étant ivre, il avait si fort frappé un homme que celui-ci en était
mort et que pour ce crime, il serait pendu.
À moins que…
Un seigneur magnifique arriva alors en les
lieux, précédé d’un murmure qui l’annonçait comme étant le tout-puissant duc d’Épernon
qu’on disait l’homme de demain.
Le duc observa le jeune marin aux mains liées
derrière le dos. Il le gifla à quatre reprises, non sans plaisir, puis déposa devant
lui bourse demi-ouverte où se voyaient pièces d’or en quantité.
D’Épernon parla peu :
— Tu es mort, pendu et silencieux ou tu
es vivant, riche et bavard : choisis !…
L’homme choisit d’être riche et de ne se point
trouver pendu au gibet de Montfaucon où ses yeux seraient dévorés par les
oiseaux.
Thomas de Pomonne, comte
de Nissac et amiral des mers du Levant, avait loué l’auberge de « La
licorne d’or » à son usage exclusif et celui de la comtesse.
Agissant ainsi, il payait l’endroit avec ses
propres écus, sa nature scrupuleuse ne lui faisant utiliser l’or de monsieur de
Sully que pour la cause du roi.
Se trouvant les seuls en ce lieu, où le
propriétaire qui était au fourneau servait en outre lui-même, le comte et la
comtesse vivaient intimité amoureuse qui eût été plus belle encore si la
fatigue des combats de la nuit précédente ne se faisait sentir et si les
affaires du royaume ne projetaient l’ombre de la trahison, de la félonie et du
meurtre.
Peu avant le soir, ils s’étaient promenés main
dans la main tandis qu’en la lumière du couchant les rues se doraient comme
enluminures de livre saint.
L’auberge était située sur les quais, non loin
du quartier Maubert. Soupant en le premier étage, le couple voyait les tours de
Notre-Dame perdues entre la lune et les étoiles dont l’éclat miroitait en les
eaux sombres de la rivière de Seine.
L’aubergiste avait couvert la table d’une fort
belle nappe blanche brodée de dentelle. Sur celle-ci se trouvaient posés
chandeliers de cristal provenant sans doute de son propre logis et en lesquels
se consumaient avec lenteur deux bougies d’une belle cire très pure.
Fort conscient que sur les mauvaises routes, en
les cantonnements de fortune, les champs de bataille et sur Le Dragon Vert, il
n’avait guère eu l’occasion d’offrir repas de fête à la femme qu’il aimait, Nissac
se voulait rattraper ce soir-là. On servit donc œufs pochés au jus d’oseille, tourte
de chapon, soles, oie aux pointes d’asperges et aux pois verts, fromage de la
Grande Chartreuse et un autre de Fleury, beignets et cerises confites… soit
beaucoup plus qu’ils n’en pouvaient avaler !… Mais au moins essayaient-ils
chaque plat, le regard s’attardant parfois vers Notre-Dame, un vol de
chauves-souris se découpant sur clair de lune ou le scintillement des astres
morts en la rivière de Seine.
Dehors, il faisait grand vent et on entendait
craquer
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