Le Voleur de vent
et
rapidement. Il reprit son souffle et on le laissa faire, impressionnés, car
décidément l’organisation de cette affaire semblait des plus soignées et l’on
se trouvait ainsi grandement en confiance de bonne réussite.
D’Épernon acheva :
— Le temps, pour l’assassin, n’est point
un problème. C’est un fanatique, il veut réussir. Il frappera quand nous lui
dirons d’agir, et où nous lui dirons.
— À quoi occupe-t-il son temps ?… demanda
le cardinal de Bellany.
D’Épernon sourit sous sa cagoule.
— Nous lui faisons entendre sermons
écrits tout spécialement pour lui par les jésuites et croyez-moi, il y trouve
matière à fortifier sa haine !
39
Elle regardait le paysage sans le voir, regrettant
d’avoir cédé.
Tous l’avaient comme assiégée pour qu’elle
accepte, ainsi de l’église d’Orléans en ses plus hauts représentants, des
magistrats de la ville dont un l’accompagnait aujourd’hui en ce carrosse, des
femmes de grands seigneurs qui pour la première fois la recevaient en leurs
châteaux en proposant gâteaux et friandises. Et il n’était point jusqu’au
peuple lui-même qui ne se fit insistant pour qu’elle se rende à la Cour puisque
le roi en personne voulait entendre cette histoire de loups-garous et voir de
ses yeux celle qui s’était opposée à ces horribles créatures avec si grand
courage et fermeté de caractère.
La blonde Isabelle de Guinzan, dont les yeux
verts reflétaient colère et impatience d’en finir, pensait qu’elle allait
perdre son temps. Le roi l’écouterait-il en grande attention, se montrant
terriblement désolé des malheurs frappant ce petit village près d’Orléans, cela
ne rendrait point aux femmes leurs maris percés de coups de lance ni leurs
enfants égorgés à pleines dents par la horde sauvage de loups-garous.
Et, comme toujours, Paris se mêlait de choses
dont cette ville futile n’avait point l’entendement car tous événements
importants pouvaient avoir lieu ailleurs, y compris…
La belle jeune femme battit des paupières pour
que larmes ne roulent point sur ses joues. Telle demeurait intacte son émotion
qu’en l’instant où elle vit arriver d’Orléans et les campagnes circôvoisines
troupe fort nombreuse de maçons, menuisiers, peintres, serruriers et
charpentiers se pressant et se bousculant parfois pour reconstruire sa maison
incendiée par les loups-garous.
Et c’était là un des rares bonheurs qu’elle
ait connus car en le théâtre de sa vie, c’est le malheur qui, de tout temps, avait
occupé la loge principale.
Seule fille en sa famille, avec cinq frères
plus âgés qu’elle, elle se trouvait de nouveau seule aujourd’hui. Son frère
aîné avait été tué au siège de Paris que fit Henri de Navarre, un autre à la
bataille d’Ivry, un troisième en l’expédition montée par Henri quatrième contre
le duc de Bouillon révolté. Quant aux deux autres, marins, l’un disparu au
large du Canada et le dernier, le plus jeune, qui servait en le même bâtiment
que son mari, périt avec lui dans un naufrage dont on ne sut rien, ou presque.
Son mari…
Cette évocation lui donnait grand malaise.
Isabelle de Guinzan, indépendante en son
caractère, ne voulait point prendre époux, préférant demeurer vieille
demoiselle que de subir homme qui n’eût pas été l’image même de l’amour ainsi qu’elle
l’imaginait. Mais, telles pour ce voyage à Paris, pressions surgirent de tous
côtés.
Aussi, elle acheva par ne plus lutter et
épousa ce baron de Guinzan qui perdit son titre lorsque le roi lança campagne
pour vérification de la noblesse et que le baron, par négligence et paresse, ne
produisit point les pièces exigées, et pourtant existantes bel et bien.
S’il n’était plus baron, et ne s’en souciait
guère, il demeurait en sa possession belles vignes qui produisaient vin d’Orléans
réputé, et permettaient de vivre. Car en effet, et la chose fut sensible dès la
nuit de noces, le baron préférait la bouteille à tout autre plaisir, fût-ce sa
femme, et ne ramenait guère de solde en son foyer, l’ayant bue.
Le mariage dura deux ans avant que l’époux ne
disparaisse en un mystérieux naufrage mais ces deux années ne furent point
heureuses où Isabelle eut la hantise des escales, quand l’homme à l’haleine
chargée de vin lui faisait l’amour en poussant grognements qu’on eût dit d’un
porc.
Puis, en les derniers mois du mariage, elle
lui
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