Le Voleur de vent
qu’il manquait de courage.
Depuis le virage où bouquets d’arbres le
masquaient à la vue des coupe-jarrets, le comte de Nissac, qui avait arrêté son
cheval, vit sortir du carrosse homme vêtu de noir et bedonnant qui tomba à
genoux devant les brigands en offrant sa bourse.
Celui-là aussi ne paraissait point animé de
grand courage.
Le comte de Nissac se résolut à intervenir
sans grand enthousiasme et mû par le seul sens du devoir. Il se dit, pour
conforter cette résolution, qu’il se réchaufferait en affrontant les
tire-bourses, mais ce fut bien le seul avantage qu’il vit à la chose.
Il allait pousser « Flamboyant »
lorsqu’une vision l’immobilisa en la stupeur. En effet, femme blonde sortit du
carrosse et pointa un pistolet en un geste de grande sûreté où le bras ne
tremblait point. Puis elle fit feu sans attendre et un homme s’effondra.
Le comte de Nissac, en grande peine, s’apprêtait
à voir cette femme courageuse rouler au sol sous les coups de rapière lorsque, retournant
vivement vers le carrosse, elle en revint l’épée à la main, engageant aussitôt
le combat et, bientôt, un des brigands mordit la poussière.
Lançant son cheval au galop, et alors que la
belle, croisant le fer contre cinq, se trouvait en grande difficulté et péril d’y
laisser la vie, Nissac écrasa un des voleurs et les quatre autres, distraits
par cette intervention, relâchèrent la pression qu’ils faisaient peser sur la
jeune femme.
Déjà, Nissac avait sauté de cheval et, l’épée
bien en main, blessa les quatre hommes en quelques secondes, tous pareillement
en le bras qui tenait l’épée car il ne les voulait point tuer.
Ramassant leurs blessés, la troupe des
coupe-jarrets s’éloigna en clopinant, pathétique et ridicule en ses ambitions
cruellement déçues.
Remettant épée au
fourreau, Nissac leva alors les yeux sur la jeune femme blonde, dont il
découvrait enfin les traits d’aussi près.
Et faillit chanceler, lui qu’aucun assaut
violent n’avait jamais fait défaillir.
Tout, elle était tout ce qu’il avait vainement
cherché, et sans oser se l’avouer, de par le monde, en l’extrémité des océans
et de tous temps.
Une mèche blonde et rebelle barrait son front
où, malgré grand froid, perlaient petites gouttes de sueur en la raison du
combat. Ses yeux verts et son regard moqueur annonçaient cependant bien d’autres
choses, plus douces, et crucifièrent le comte de Nissac qui pensa tout de bon
mourir lorsqu’elle lui sourit.
Elle n’avait point lâché une épée rouillée, portait
les accrocs de coups de rapière en sa robe de satin incarnadin et saignait
légèrement du poignet gauche. Il la supposa douce et tendre en amour, car tout
indiquait cette pente, comme il l’avait vue batailleuse et en allure de garçon
digne d’un soldat de mérite lorsqu’elle affrontait les coupe-jarrets.
Il l’aima donc immédiatement, et pour toute la
vie.
Il balbutia :
— Je suis désolé, tant désolé, de n’être
point arrivé plus tôt.
Elle tenta en l’esprit
d’enraciner ses pieds en le sol afin de ne se point évanouir.
Il existait !
Il était tout, la somme des rêves, le
merveilleux total des espérances de petite fille, d’adolescente puis de femme
bien mal mariée.
Il était beau, si beau !… Point de ces
beautés grassouillettes, dodues et le visage mou tel qu’ils séduisent à la Cour.
Sous le chapeau à si belles plumes bleues, vert émeraude et blanches, un visage
maigre, osseux : mais quel sourire ravageur et magique dont on ne sait
pourquoi, il met le cœur des femmes à l’envers !… Et quels yeux gris, banquise
fondante, flammes et glace !… Quel corps mince, presque trop maigre en
cette haute stature aux larges épaules et hanches étroites.
Et puis…
Elle chercha et ne trouva point.
Et puis… C’était lui, parce que c’était lui et
que sur ce point, cœur, âme et corps de femme ne commettent point d’erreur
lorsqu’elle se trouve en cette certitude inébranlable, en cette tranquille
assurance. On dit femmes compliquées, mais c’est là paroles d’hommes effarés
par la simplicité du désir qui ne se masque point à lui-même, effrayés de cette
envie de posséder qui ne cherche pas prétexte : si les hommes ont si peur
des femmes, c’est pour raison qu’elles, elles davantage qu’eux, savent regarder
passion bien en face et se pendre à son cou !…
— Vous êtes tout de même arrivé à
Weitere Kostenlose Bücher