L'Église de Satan
se
précisèrent ; par endroits, des lignes jaillirent devant moi, avec une
incroyable netteté. Je vis un cadre, tracé d’une main malhabile, surgir en
surimpression, derrière mes laisses et mes couplets ; puis une rose des
vents, frappée des quatre directions, Nord, Sud, Est-Ouest. Je vis des points, des
croix, des noms de montagnes, de châteaux et de villages qui m’étaient devenus
familiers. Devant moi, Philippe, une carte naissait, s’épanouissait comme une
fleur, sans que je puisse arrêter cette apparition !
Elle explosa à ma vue, littéralement, dans son
intégralité.
J’y voyais l’Ariège et le Razès, les Corbières
et le Sabarthès ; j’y voyais l’Occitanie de Limoux et Pamiers jusqu’à
Ax-les-Thermes et aux Pyrénées orientales, en passant par Montségur, Quéribus, Peyrepertuse.
Et là, entre Ussat et Vicdessos, une croix cernée de flèches, une croix grecque,
semblable à celles dont étaient frappés les méreaux cathares, ces pièces de
métal qui servaient aux hérétiques de signe de reconnaissance. Elle était là !
Et le dessinateur avait ajouté les contours d’une grotte, comme illuminée de l’intérieur…
Cela ne peut pas être un hasard, Philippe, comprends-tu ?
Quel tour du destin m’a mis sur cette voie ? Une puissance supérieure n’a-t-elle
pas voulu que les choses se passent ainsi ?
Montségur, Montségur !
Nous nous trompons, Philippe ! Ce n’est
pas là qu’il faut chercher, non !
Regarde attentivement cette carte que je t’envoie.
Le trésor cathare, le secret du cavalier ?
Tu n’as qu’à suivre
les flèches.
Antoine. »
12 Inquisitio heretice pravitatis ________________________ Avril
1242
« Et je la vis seule au milieu de l’ennemi
Elle défendait sa foi, elle défendait sa vie ;
Et je lus dans ses yeux le message divin :
Crois en l’amour seul, et du mal te défies. »
ESCARTILLE DE PUIVERT,
Chanson albigeoise, « le Livre de Vie ».
Un soir, au milieu des
fougères de la forêt de Pamiers, entre les bouquets d’ajoncs et de genévriers
noyés dans une clarté nébuleuse, marchaient un paysan et sa femme ; tous
deux jetaient aux alentours des coups d’œil inquiets. Le paysan portait une besace,
gorgée de pains, de fouaces et de vin, qui rebondissaient contre son ventre à
mesure qu’il avançait, d’un pas martial. Presse-toi ! disait-il à sa
moitié, qui, les joues enflammées, traînait deux paniers chargés de légumes, de
farine et de miel ; elle clopinait derrière lui avec difficulté, les pieds
meurtris par ses vieux souliers. Au détour du sentier, ils s’aventurèrent au
milieu des frondaisons. Puis vinrent d’autres voyageurs. Ce fut d’abord un
homme seul et à cheval, portant une houppelande rouge, des bourses pendant à
ses côtés. Un riche tisserand. Des coffrets recouverts de velours et des sacs
de vêtements reposaient sur la croupe de l’animal. Le marchand avançait au pas,
attentif au moindre bruit, le visage tordu par l’angoisse, soufflant à s’en
exploser les poumons. Il plissait les yeux dans l’obscurité. Arrivé à l’endroit
précis où le paysan et sa femme s’étaient écartés du sentier, il descendit de
cheval, s’approcha d’un arbre aux branches déchiquetées et se pencha pour en
regarder l’écorce. On pouvait y voir distinctement deux traits parallèles, taillés
au moyen d’un couteau. Oui, c’était bien le signe dont lui avait parlé le
ductor. Il prit alors son destrier par les rênes et se fraya à son tour un
chemin au milieu des ronces. Quelques instants plus tard, un chariot fit son
apparition, empli de fourrage, et sur lequel trois gaillards étaient montés. L’un
d’eux, la trogne mouchetée de taches rouges, sauta du chariot et scruta les
alentours, avant de siffler par trois fois. Des ombres sortirent du bois et, en
un clin d’œil, écartèrent le foin, laissant apparaître de nouveaux sacs de
nourriture et de vêtements, ainsi que des arbalètes, des dagues et des armes de
jet. Rapidement délesté, le chariot repartit sur le sentier comme il était venu.
Le silence retomba sur la forêt, uniquement troublé par le chant de quelques
oiseaux isolés.
On se rendait dans une clairière, la clairière
des rebelles, celle des révoltés de l’Occitanie.
Non loin de là, Escartille avait lui
aussi installé son maigre campement.
Il rêvait.
Le légionnaire romain touchait de sa
lance le cadavre qui se trouvait à terre, comme pour
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