L'Église de Satan
résonnait aux oreilles d’Escartille.
Montfort
Es mort
Es mort
Es mort !
Dès lors, la monarchie française n’avait
pas eu d’autre solution que de se substituer à Montfort pour rétablir l’ordre. Le
prince Louis, fils de Philippe Auguste, s’était jeté dans la bataille avec
vingt évêques, six cents chevaliers et dix mille archers. Son premier exploit
avait été de se saisir de Marmande et d’y massacrer ses habitants, soit plus de
cinq mille personnes.
Mais une à une, toutes les grandes figures du
début de la guerre étaient passées de vie à trépas. Raymond VI tout d’abord.
Sur son lit de mort, le bon comte de Toulouse, l’homme bafoué de Saint-Gilles, le
chef tourmenté de la capitale occitane, qui toujours avait préféré la quête de
la paix aux foudres de la guerre, s’était ouvert une dernière fois de ses
incertitudes, avant de passer le flambeau à son fils, le jeune Raymond VII.
Lorsque Escartille avait appris cette nouvelle, il en avait été profondément
touché. Il avait pensé à leurs longues chevauchées, à leurs discussions devant
l’âtre, et à ce silencieux adoubement avant le choc de Muret. Il avait
longtemps prié pour lui.
Quelque temps après, le fils du défunt
Raymond-Roger Trencavel était rentré dans Carcassonne pour reprendre les
combats, en souvenir de son père assassiné. Un homme mourait, d’autres se
levaient, la roue tournait.
Innocent III, le pape qui avait lancé les
chevaliers du Christ à l’assaut de l’Occitanie, était décédé.
Philippe Auguste enfin, le roi de France, avait
rendu l’âme à son tour, cédant la place à Louis VIII.
Ainsi, aux alentours de 1218, dix ans après
le début de la guerre, les deux partis ennemis n’avaient pas avancé d’un pouce.
Mais la conquête royale s’était mise en marche.
La campagne, une fois lancée, avait duré plus de deux ans, de 1224 à 1226. Les
gens du Midi, déjà exsangues, s’étaient heurtés à une puissance qui conjuguait
les forces royales et celles de l’Église. Raymond VII n’avait pu faire
front. En quelques mois, les Occitans avaient tout reperdu, ou presque. Louis VIII
n’avait eu de cesse de consolider son autorité en Languedoc. À la mort du roi, en
Auvergne, tandis que l’on sacrait Louis IX, le jeune comte de Toulouse ne
possédait plus que sa ville capitale ainsi que quelques lambeaux de territoires.
Il n’avait eu d’autre choix que de se soumettre, comme son père en d’autres
temps. Une assemblée s’était réunie à Meaux pour arrêter les préliminaires d’un
traité de paix. Celui-ci avait été signé à Paris, le 12 août 1229, en la
cathédrale Notre-Dame, sous la houlette de Blanche de Castille. La mère du roi
de France, régente de fait, avait une poigne vigoureuse. Catholique convaincue,
elle voyait d’un très mauvais œil l’hérésie méridionale et y accordait bien
plus d’importance que ne l’avait fait Philippe Auguste. Par le traité de Meaux,
Raymond VII gardait Toulouse et une partie du Languedoc ; mais il
était convenu qu’à sa mort, ses biens reviendraient à sa fille Jeanne, promise
à… Alphonse de Poitiers, le frère du roi. Autrement dit, toutes les possessions
du comte de Toulouse passeraient immanquablement à la Couronne de France.
La défaite et l’humiliation étaient consommées.
— Père, à quoi pensez-vous donc ?
Vous avez l’air sombre.
Escartille, les mains sur le front, fut ramené
à la réalité.
Il releva la tête.
Devant lui, Aimery se redressait, les bras
chargés de branches, en prévision du feu qu’ils ne tarderaient pas à allumer. Le
jeune homme adressa à son père un sourire clair.
Escartille se racla la gorge.
Le visage de Louve dansa un instant devant lui.
— Je songeais à ce qui nous a amenés ici,
fils, dit-il.
Aimery jeta le bois auprès de lui et s’assit à
son tour en poussant un soupir satisfait.
— Voulez-vous me raconter encore Béziers,
père ? Racontez-moi comme vous m’avez porté au milieu de la ville en
flammes, comment nous avons sauté de la cathédrale… Parlez-moi de la
jouvencelle qui m’a sauvé, la belle Léonie des Trencavel ! L’aimiez-vous
comme ma mère ?
Aimery saisit la bogue vide d’une châtaigne et
la lança machinalement devant lui.
— Allons ! dit-il, les yeux
brillants, sortez donc vos rouleaux de parchemin et lisez-m’en un peu. Vous
savez combien j’aime vous entendre. Pourquoi ne pas reprendre la plume ?
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