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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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marchant sous la lune. On les
attendait avec solennité, les hommes préparaient la cheminée, les femmes
couvraient leurs cheveux et voilaient leurs jambes, on avait couché les enfants.
Les parfaits entraient ; lorsque la porte se refermait sur eux, ils
étaient leur capuche, respiraient un peu, souriaient enfin. Les femmes s’approchaient,
faisaient leur révérence, l’adolescente imitait sa mère, sans oser lever les
yeux sur les hérétiques, murmurant du bout des lèvres son adoration en occitan.
On invitait les nouveaux venus à se réchauffer devant l’âtre, à s’asseoir à la
table pour se restaurer d’un repas frugal. Puis les parfaits se dévêtaient de
leurs manteaux ; le petit cercle insolite se détendait, on discutait de
choses et d’autres. Enfin, les Bons Hommes commençaient leur prêche. À tout
moment, ils pouvaient être surpris. Il suffisait qu’un voisin malintentionné
ait remarqué ces silhouettes inconnues glissant par le village, qu’il ait vu le
profil emmitouflé du ductor frappant à la porte, qu’il ait pressenti ce
qui se tramait… et la rencontre pouvait tourner au drame. Lorsque la situation
le permettait, on préférait recevoir les Bons Hommes dans des granges, des
caves ou des pigeonniers, pour leur permettre, en cas d’alerte, de se lancer à
couvert, de refermer sur eux les serrures d’un coffre, de gagner un souterrain
ou une trappe dissimulée sous le foin. Des oiseaux s’envolaient dans la nuit, des
flammes tremblaient dans l’étable, des reflets couraient sur le bord d’un lac. Le
silence revenait.
    Mais tout cela n’était rien en comparaison de
ce qui s’était passé chez Héloïse.
    Cours, Héloïse.
    Sa sœur, Aude, s’était enfuie autrefois
pour rejoindre un repaire de nonnes hérétiques, situé à deux pas du monastère
catholique de Prouille, et ce malgré la colère de son père qui, lui, rendait
chaque semaine ses devoirs au Christ ressuscité. Rien n’était pire que ces
dissensions, d’abord secrètes, insidieuses, qui venaient se lover comme un
serpent dans le cœur des familles avant d’éclater soudain au grand jour. Petite
sotte ! hurlait une mère à sa fille, qui menaçait de dénoncer ses
parents à l’Inquisition parce qu’elle venait de découvrir qu’ils adoraient les
Bons Hommes. Maudite sois-tu ! avait lancé à Aude son propre père. Jalousie,
amours déçues, trahisons, dettes et créances venaient se greffer sur les
antagonismes anciens, laissant parfois des blessures béantes, déchirures
crachant le fiel, le chagrin, les remords.
    Coupable ! Hérétique ! Oui, tu es
coupable, COUPABLE !
    —  Aude… avait
murmuré son père. Aude !
    L’agent de liaison était venu seul. Par sa
bouche, Aude lui avait signifié que, malgré les années, elle aimait encore ses
parents et n’avait cessé de penser à eux, à ce départ précipité dans la nuit. Cette
nuit où elle s’était envolée, en larmes, sûre pourtant de sa décision. Son père
s’était emporté devant le ductor :
    —  Qu’elle
revienne ! Qu’elle abandonne ses oripeaux d’hérétique, qu’elle abjure
devant nous, devant l’Église et le pape, qu’elle quitte l’endroit où elle se
cache ! Mais pourquoi a-t-il fallu qu’elle se range parmi eux ? Pourquoi
n’est-elle pas restée ici, avec les siens ?
    Il avait frappé du poing à en casser la table,
son épouse en larmes à ses côtés.
    Le ductor avait répliqué avec fermeté :
    — Elle vous
demande de l’aider. Elle a confiance en vous. N’est-elle pas votre chair, votre
sang ? Elle pense que vous la comprendrez, et que vous lui porterez
secours Que vous nous porterez secours.
    — Vous aider ! Pauvres fous ! Aider
un rêve ? Vous mourrez tous et vous le savez ! Rendez-la-moi ! Ce
sont les vôtres qui l’ont entraînée !
    Et sa femme avait renchéri :
    — Chaque jour, chaque nuit, j’ai prié
pour elle. Le bon abbé de Marois est venu passer sous notre toit des heures
interminables, à se joindre à nous pour le salut de ma fille. Chaque semaine, maintenant,
nos récoltes sont mauvaises, les chevaliers passent au milieu de nos champs et
piétinent tout ce qui peut y pousser… Ils détruisent d’un trait ce que nos bras
ont mis des années à rassembler. Notre pays est à feu et à sang depuis plus de
trente ans, oui ! Trente ans ! À qui la faute de tout cela ? À
vous, à vous tous qui avez voulu renier la Sainte Église. C’est vous les
responsables !

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