L'Église de Satan
une nouvelle fois
pencher la balance en leur faveur. Alors ils avaient décidé de se lancer à
nouveau par les chemins, pour y continuer leur œuvre.
Escartille lut encore quelques instants ses
rouleaux de parchemin.
Aimery l’écoutait, bercé par cette voix
familière, qui lui rappelait son enfance. La pénombre gagnait. Lentement, le
chant des oiseaux se taisait. Un cerf brama au loin. Une biche, sur le qui-vive,
dressa son regard entre les feuillages, puis disparut. Ils n’entendaient plus
que le murmure du ruisseau auprès duquel ils s’étaient arrêtés. Bientôt, Escartille
n’y verrait plus rien. Ils mangeraient un peu de leurs provisions, puis Aimery
irait s’allonger aux côtés de son père, et ils tâcheraient de reprendre des
forces. La journée du lendemain serait certainement éprouvante.
Soudain, Escartille et Aimery furent
alertés par des mouvements furtifs dans les broussailles.
Escartille étendit la main, aux aguets, faisant
signe à son fils de ne plus bouger.
— Chut, fit-il, un doigt sur les lèvres.
Ils crurent d’abord au passage de quelque
bête sauvage, mais le bruit se réitérait à intervalles réguliers. Craignant l’assaut
d’une bande de brigands, les deux hommes se levèrent. Escartille enfourna ses
rouleaux de parchemin dans sa besace, puis se saisit de son bâton. Rabattant
son capuchon, il fit signe à Aimery, dans un froissement des manches de son
manteau. Le jeune homme comprit. Tous deux se baissèrent.
Ils rampèrent parmi les fougères, jusqu’au
sommet d’un talus.
Ils se regardèrent, stupéfaits.
Une jeune fille – elle devait avoir quinze ans
à peine – courait parmi les buissons, ses cheveux blonds dansant derrière elle,
ses vêtements s’accrochant aux épineux. Elle jetait autour d’elle des yeux
inquiets, sentant venir la nuit et craignant sans doute de ne pas trouver son
chemin à temps.
— Eh bien, chuchota Aimery, les forêts ne
sont plus ce qu’elles étaient… Nous attendions des brigands, et voici que des
jouvencelles se promènent au milieu de nulle part…
Escartille fronça les sourcils.
— C’est curieux, dit-il. Elle est en
fuite, ou bien…
— Ou bien ? demanda Aimery, tournant
vers son père un regard interrogateur.
Derrière lui, sur la branche d’un arbre tendue
par-dessus le ruisseau, le faucon poussa un cri.
Héloïse de Lavelanet, éperdue au milieu
de ces bois, courait en sa robe blanche.
On eût dit une fée, une petite fée aux ailes
lumineuses et vibrantes, qui, égarée en cette sombre forêt, guettait le
hurlement des loups, comme le signal de l’hallali.
Cours, Héloïse, cours !
Elle était venue jusqu’ici pour y retrouver l’un
de ces endroits où l’on accueillait les croyants d’une foi impie. Elle était
venue y retrouver sa sœur aînée, Aude, disparue quelques années plus tôt et qu’elle
n’avait pas revue depuis son enfance. Ses oreilles indiscrètes avaient surpris
une conversation dans la foganha de la maison, la cuisine où son père
chuchotait avec un mystérieux personnage, sans doute un ductor , agent de
liaison des hérétiques, venu l’avertir qu’Aude était de retour dans les
environs.
Clandestinité.
Tout, désormais, était clandestin.
Le ductor qui discutait dans la cuisine
avec le père d’Héloïse était l’un de ceux qui guidaient les Bons Hommes et les croyants
dans les campagnes, les villes et les forêts, pour leur permettre d’échapper à
leurs poursuivants tout en continuant à assurer la survie de la communauté. Leur
responsabilité était immense dans l’organisation de la secte hérétique ; ils
connaissaient les chemins et les endroits sûrs, la liste des familles amies et
des abris possibles en cas d’alerte. Ces agents de liaison représentaient pour
l’Inquisition une proie de premier ordre. Qu’ils soient arrêtés, et pouvait
commencer, à force de harcèlement et de torture, le terrible florilège des
révélations. Lorsque les ductores se présentaient au domicile des
adeptes de la religion cathare, en ces temps de répression systématique, ils
commençaient par gratter à la porte ; ils vérifiaient que l’endroit était
sûr, en prévision de l’arrivée des Bons Hommes. On discutait quelques minutes à
voix basse. Puis le messager allait prévenir les parfaits qu’ils n’avaient rien
à craindre. Ombres glissant sur les pavés, capuches enténébrées, les voilà qui
traversaient la ville, à deux, trois ou quatre,
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