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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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raisons de t’appeler « mon
père », dit-il. La première, parce que c’est grâce à toi que je suis passé
en cette vie, et que malgré tout, je ne regrette rien de ce que nous avons fait,
si ce n’est le point où nous sommes conduits aujourd’hui. Je t’aime, mon père, de
tout mon cœur. La seconde, c’est que ta fonction au sein de notre Église te
donne droit à ce titre ; et il te faut en être digne, comme nous devrons
être dignes au moment de notre fin. Héloïse…
    Il fit une grimace de douleur.
    — Héloïse ne pourra pas s’enfuir, quand
bien même nous le voudrions. Elle sera trop faible. Te rends-tu compte ? Il
faudrait descendre la falaise à pic, avec des cordes, en pleine nuit, sans nous
faire repérer par les croisés. Jamais nous n’y parviendrons ensemble, elle n’en
aurait pas la force. Imagines-tu que je la laisse aller seule au bûcher ? Je
mourrai avec elle, puisqu’il le faut. Mais toi, toi, tu peux vivre. Tu peux
tenter la fuite et sauver notre enfant.
    Escartille hocha la tête :
    — Et moi, vous abandonner ? As-tu
perdu la raison ? Vous abandonner, en ce moment, au moment le plus funeste,
le plus terrible qui soit ? C’est à vous de vivre, Aimery, à vous trois !
Je donnerais ma vie pour vous. Je vieillis, je suis las, fatigué. Ma pauvre
carcasse peine déjà, il me semble avoir mal partout… Non, c’est hors de
question.
    Aimery resserra la pression de sa main sur l’épaule
de son père. Il souffla :
    — Il est d’autres trésors à Montségur que
vos vaines reliques ! Tu le sauveras !
    Puis il regarda la vallée, sombre, noire.
    — Et j’irai mourir avec elle.
    Le samedi 12 et le dimanche 13 mars, ce
fut la maison de Péreille qui retint toute l’attention des hérétiques. Corba et
Esclarmonde de Péreille ne cessaient de verser des larmes qu’elles s’efforçaient
dignement de cacher. Leur mère était sur le point de rendre l’âme à son tour. Raymond
ne quittait plus sa femme, entouré des autres filles de Corba, Philippa et
Arpaïx. Alazaïs de Massabrac, Cécile de Montserver et sa nièce, Faye de Plaigne,
autant de figures de l’Église cathare en perdition, en robes noires, vinrent se
joindre à la douleur de la famille.
    On entendait Raymond gémir, hurler à la
mort, parfois, depuis la tour de son logis seigneurial.
    Le 14 mars, Escartille fut de nouveau
demandé par l’évêque Bertrand Marty. Celui-ci le reçut cette fois avec Raymond
de Péreille et Pierre-Roger de Mirepoix. Ils se trouvaient tous trois au milieu
des derniers vivres, dans la maison des pèlerins, derrière une petite table. Escartille
s’assit devant eux.
    Bertrand Marty avait longtemps gardé les yeux
fermés. On ne savait s’il méditait, ou s’il essayait d’échapper au sommeil qui
le taraudait. On n’avait cessé de faire appel à lui. Il était exsangue. Lorsqu’il
sortit de sa torpeur, son regard peina à se fixer sur Escartille. Il bougea sur
sa pauvre chaise de paille. Ses mouvements étaient lents, empesés. Il joignit
les mains sur la table, ses manches sales et déchirées devant lui. À ses côtés,
Raymond de Péreille, les yeux injectés de sang, le teint blême, les joues
creuses, ne payait pas de mine non plus. Pierre-Roger de Mirepoix paraissait le
plus gaillard des trois. Il passait de temps en temps la main sur sa moustache,
sur son front dégarni. Mais cette trinité qui n’avait cessé de veiller sur
Montségur n’était plus que l’ombre d’elle-même. Une trinité rendue à son
martyre, désolante, misérable.
    Enfin, la voix de Bertrand Marty, légèrement
chevrotante, retentit.
    — Escartille de Puivert… Vous aussi, vous
êtes là depuis le début de tout ceci… Depuis Béziers, Carcassonne et Muret… Nous
savons aujourd’hui à peu près tout de vous…
    Il baissa les yeux, puis, lentement, il se
leva. Il commença de marcher en long et en large, derrière la table.
    — Ne vous attendez pas à ce que je vous
dise une quelconque vérité. Vous en savez autant que moi, sur tous les chapitres
de notre foi, sur la raison de ce combat qui nous a acculés ici. La matière, Escartille…
Je pourrais vous dire qu’un jour, sans doute, elle sera la seule obsession de l’humanité,
si nous n’y faisons rien. En des temps futurs, lointains peut-être, l’homme ne
la dominera plus, mais sera dominé par elle. Il en sera plus aveugle à mesure
qu’on l’en alerte ; il ne trouvera plus de bonheur fugace, trompeur,

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