L'Église de Satan
présence de Dieu dans la sainteté
et dans la justice.
Donné au Latran, le six des
Ides de Mars, l’an II de notre pontificat.
Ainsi, la riposte n’avait pas tardé. L’appel
aux armes était lancé. Pour la première fois, il s’agissait d’une croisade
menée contre une terre chrétienne, au cœur même de l’Occident. Innocent III
ne perdit pas une minute pour lancer ses grandes manœuvres. Il s’empressa d’écrire
au roi Philippe Auguste et lui demanda de se croiser ; celui-ci, alors
bien trop occupé avec les Anglais, refusa. Innocent fit parvenir à tous les
évêques de France sa lettre pour qu’ils rassemblent une armée. La guerre était
devenue l’affaire de l’Église, et de l’Église seule. Des missionnaires furent
dépêchés dans toutes les provinces de Normandie, de Picardie, de Champagne, du
Limousin, de l’Anjou et des Flandres, pour haranguer les foules. L’indignation
se répandit de place en place. Paysans, bourgeois et chevaliers se croisèrent
ensemble, sensibles aux indulgences qui leur étaient promises, soucieux d’échapper
à leurs créanciers ou à d’autres guerres menées à l’autre bout du monde. Dans
les châteaux, dans les palais épiscopaux, sur la place des communes, dans les
champs, des milliers d’hommes vinrent grossir les rangs de l’armée naissante.
— Frère, dit alors le pape à
Arnaud-Amaury, abbé de Cîteaux – Frère, lui dit-il le visage sombre, prends le
chemin de Carcassonne et de Toulouse la grande, sise sur la Garonne ! Tu
seras maître des armées contre la gent perfide : pardonne leurs péchés aux
bons catholiques et de ma part, exhorte-les à chasser les hérétiques d’entre
les gens de bien !
Arnaud-Amaury s’agenouilla et baisa l’Anneau
du Pêcheur.
Il fut ainsi désigné pour mener au combat
cette armée de Dieu.
— Au nom du Très-Haut, au nom du Christ !
Des milliers de drapeaux flottaient dans la
campagne.
À côté d’Arnaud-Amaury chevauchait un prêtre
qui, une bible ouverte, lisait :
— « Après quoi, je vis descendre du
ciel un autre Ange, ayant un grand pouvoir, et la terre fut illuminée de sa
splendeur. Il s’écria d’une voix puissante : “Elle est tombée, elle est
tombée, Babylone la Grande ! Elle s’est changée en demeure de démons, en
repaire pour toutes sortes d’esprits impurs, en repaire pour toutes sortes d’oiseaux
impurs et dégoûtants. Car au vin de ses prostitutions se sont abreuvées toutes
les nations, les rois de la terre ont forniqué avec elle, les trafiquants de la
terre se sont enrichis de son luxe effréné !… Elle est tombée, Babylone la
Grande ! ” »
Et l’armée d’extermination se mit en
marche.
5 Les Deux Principes ________________________ Juin 2000
Lettre d’Antoine Desclaibes à Philippe Poussin.
Paris, le 18 juin 2000.
« Cher Philippe,
L’Occitanie, cette demi-France d’autrefois,
a bien été le théâtre d’événements dramatiques ; et ce peuple révolté, sur
lequel s’apprêtent à fondre toutes les puissances de la chrétienté médiévale, ne
laisse pas de m’étonner. Je n’en suis encore qu’au début ! La tâche me
paraît immense, je passe des heures à travailler, suivant ton conseil. Me voilà
redevenu un rat de bibliothèque. Plusieurs choses m’intriguent, à vrai dire, à
mesure que je poursuis mon exploration. Certains personnages m’apparaissent qui
ne sont dépeints nulle part ailleurs, et qui ont pourtant tous les accents de
la vérité historique. Comprends-moi bien, je n’ai aucun doute sur l’authenticité
du manuscrit. Pierre de Castelnau a effectivement été tué dans les
circonstances que tu as lues ; l’épisode est narré dans les poèmes de Guillaume
de Tudèle et de Pierre des Vaux-de-Cernay. De même que les batailles qui
suivent sont fidèlement relatées. Entre l’exactitude historique et l’invention
du poète, c’est bien là que se joue toute la difficulté. Je remonte le courant,
entre Histoire rêvée et Histoire vécue… Et je me demande encore : pourquoi
a-t-on mis ce manuscrit en enfer ?
Mon ami l’archiviste a tenté de retrouver la
trace de ces rouleaux de parchemin – comment sont-ils arrivés ici ? Pourquoi
personne n’a-t-il jamais pris la peine de les étudier ? Serait-ce pour les
dissimuler ? L’archiviste y perd son latin et se noie dans les anciens
thésaurus, les fiches déclassifiées, les références incomplètes. Peut-être le
livre s’est-il perdu,
Weitere Kostenlose Bücher