L'Église de Satan
Certains, munis de torches, les jetaient à l’intérieur. Les premiers
brasiers s’allumaient ici et là. D’autres se déversaient au milieu des
habitations, renversaient les meubles, les jetaient par la fenêtre, défonçaient
les coffres dans lesquels ils plongeaient leurs mains. Des femmes étaient
malmenées. On les traînait par les cheveux, les pillards se jetaient sur elles,
les coups pleuvaient ; on écartait leurs cuisses en présence de leurs
époux, tandis qu’elles poussaient des cris déchirants. Lorsque Escartille entra
dans l’auberge, elle lui sembla tout d’abord déserte. Il en referma la porte au
moyen d’une poutre de bois, puis se précipita dans l’arrière-salle. Églantine
était là, les yeux agrandis de terreur, avec ses deux enfants. Aimery criait
dans son berceau de fortune.
— Ils sont là, Églantine ! Ils sont
entrés ! Où est votre mari ?
— Je ne sais pas, mon Dieu ! Je ne
sais pas !
Le troubadour prit son fils contre lui, le
soulevant dans ses langes.
— Venez, ne restons pas ici ! L’ennemi
est partout !
À peine avait-il prononcé ses mots qu’il
entendit un gigantesque vacarme ; il se retourna et vit deux routiers, torches
en main, se ruer à l’intérieur, tandis qu’un troisième donnait de grands coups
contre la porte. Escartille ne bougea plus. Il n’y avait plus d’issue, ils
allaient être massacrés comme les autres. Il ferma les yeux, les membres roides,
l’oreille tendue vers le son lointain des cloches de la cathédrale. Les
routiers ôtèrent la poutre qui barrait l’entrée ; leur compagnon entra en
poussant un terrible éclat de rire. Tous trois s’avancèrent. Ils portaient des
tuniques vertes et brunes, sanglées de cuir, des braies déchirées aux genoux, déjà
maculées du sang des habitants de la ville qu’ils avaient croisés. L’un d’eux s’avança,
le bras levé, prêt à défoncer le crâne du troubadour d’un coup de gourdin
hérissé de pointes ; Escartille vit son ombre se dresser au-dessus de lui,
Églantine se jeta sur le sol, en pleurs, essayant de protéger ses enfants.
— Eh bien, mon Dieu, mon heure est donc
venue ! s’écria Escartille avec horreur.
Tout à coup, le routier fit une grimace. Son
visage se tordit de douleur et, au lieu de lui assener le coup fatal, il tomba
à ses pieds. Une flèche était plantée dans son dos. Ses deux compères se
retournèrent vers l’entrée. Robert de Bayle et trois de ses amis venaient de
faire à leur tour irruption dans l’auberge. Escartille ne vit pas bien ce qui
se passa ensuite ; il y eut de nouveau des cris, des torches tombèrent. Il
resta à genoux. Lorsqu’il rouvrit les yeux, Robert était là, seul, les
vêtements ensanglantés, une profonde estafilade sur le front. Tous les autres
avaient péri ou agonisaient au milieu de l’incendie qui commençait à l’intérieur.
L’aubergiste se précipita vers le troubadour avec des yeux de fou ; Escartille
crut un moment qu’emporté par sa fureur, il allait le tuer également ; mais
il le saisit fermement par le bras pour le relever d’un coup. Puis il alla
enlacer Églantine et prit un de ses enfants sur chaque bras.
— Suivez-moi !
Ils sortirent en se protégeant tant bien que
mal des flammes qui léchaient la pierre et montaient à présent jusque sous le
toit de l’auberge. Celle-ci ne serait bientôt plus qu’un souvenir. Des morceaux
de bois tombaient de la toiture en sifflant autour d’eux ; une fumée âcre
dévorait leurs poumons. Ils parvinrent heureusement à se frayer un chemin vers
l’extérieur.
La cohue dans laquelle ils se
retrouvèrent était indescriptible ; c’était une mêlée brutale, de suie, de
fer et de sang ; les habitants encore valides continuaient de monter vers
la cathédrale, dans les hauts de la ville ; ils étaient fauchés çà et là
par les coups ennemis. Les plus courageux tâchaient de différer l’exécution de
leurs familles, mais leur résistance était vaine ; ils tombaient après un
ou deux assauts. Au milieu de chariots renversés, de cadavres, d’armes et d’étoffes
jonchant le sol, ils tentèrent d’esquiver les croisés et leurs bandes de
routiers. Des poulets battaient des ailes en caquetant en tous sens. Un ou deux
porcs avançaient au milieu de la fange ; certains trottaient au milieu de
la panique, d’autres fouissaient de leur goret parmi la chair des cadavres en
poussant des grognements satisfaits. Par miracle, les
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