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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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reconnaîtra
les siens.
    Aussitôt, les tours s’ébranlèrent.
    Immenses, roulantes, mobiles, elles avançaient
lourdement vers l’enceinte.
    On les acheminait en criant, dans des roulis
et des grincements, au milieu de l’échiquier de la bataille ; elles
devaient permettre l’invasion par le haut des remparts, tandis que les cordons
de fantassins attaquaient par les fossés et l’ouverture pratiquée auprès de l’Orb.
Déjà, on se préparait à abattre les passerelles sur le crénelage, en brisant
les hourds pour laisser les troupes se jeter sur les chemins de ronde ; les
archers et les arbalétriers, postés au dernier étage, ou dissimulés dans leurs
entrailles de bois, s’apprêtaient à tirer de tous côtés, ou à se lancer eux
aussi dans la tempête. Oui, les tours avançaient en cadence, monstrueuses. Leurs
ombres plongeaient dans une nuit soudaine les étendues qu’elles recouvraient
comme un gigantesque linceul, au pied des murailles.
    Une forêt hurlante…
    Tuez-les tous !
    Escartille courait à perdre haleine, tandis
que de toutes parts montait le bruit des combats. Les routiers étaient entrés
dans la ville de façon si rapide et si imprévisible qu’ils avaient l’avantage
de la surprise ; le roi des ribauds était dans la place parmi les premiers.
La panique s’étendait comme une incontrôlable marée dans toute la ville. Déjà, on
se ruait en tous sens, on trébuchait, on se portait à l’aveuglette au-devant
des assaillants. Les croisés arrivèrent à leur tour. Les beffrois roulants
dégorgeaient les soldats par centaines. Des échelles innombrables étaient
maintenant dressées contre les remparts, où régnait une indescriptible cohue. Les
catapultes lançaient leurs premiers boulets ; ils venaient s’abattre contre
la pierre, ou tombaient à l’intérieur de l’enceinte dans des sifflements et des
fracas épouvantables, écrasant les malheureux qui se trouvaient là sous des
torrents de poussière. Les artilleurs alignaient leurs trébuchets de tous les
côtés de la ville, et commençaient eux aussi leur travail de sape. Des volées
de flèches se croisaient dans le ciel, autant d’essaims bourdonnants qui
frappaient au hasard. Les avant-postes des assiégés étaient témoins de combats
singuliers et de batailles rangées. Des cadavres tombaient en cascade depuis
les tours.
    Béziers était submergée.
    Tuez-les tous !
    Un capitoul prit un coup de hache sous les
yeux du troubadour. Dans un spasme, sa tête se sépara de son corps. Plus loin, Escartille
vit un bourgeois ramper le ventre ouvert. Il semblait tâtonner pour ramasser
les entrailles qui s’échappaient de lui. Une femme perdue au milieu de la
bataille cherchait à échapper aux pillards ; un carreau d’arbalète lui
perfora le sein, arrêtant net sa course. Un routier se penchait sur le cadavre
d’un forgeron, lui arracha la ceinture pour se saisir de ses bourses avant de
lui trancher la main, qu’il brandit au-dessus de sa tête. Un malheureux
tisserand reçut un coup de fléau qui lui emporta la moitié du crâne. Des
hurlements sans nom s’élevaient de toutes parts. Oui, ils étaient en enfer et
tout était pourtant bien réel ! L’odeur du sang et la peur du combat
décuplaient les forces et la sauvagerie des assaillants.
    Tuez-les tous !
    Escartille continuait de courir, bondissant
tantôt sur l’étal saccagé d’un marchand, tantôt sur un chariot abandonné
quelques instants plus tôt. Le paysage tremblait à ses regards. Dès l’instant
où la population avait vu pénétrer dans l’enceinte le roi des ribauds, suivi
par les Français de l’ost, elle avait su sa cause perdue. Elle convergeait à
présent vers les églises, surtout vers l’ultime refuge : la cathédrale. Les
assiégés se précipitaient en tous sens. Prêtres et clercs catholiques, ceux qui
avaient choisi de rester, revêtaient leurs ornements sacerdotaux et faisaient
sonner les cloches à la volée. Le flot de l’ennemi semblait ne devoir jamais se
tarir. Des croisés continuaient d’entrer par les échelles ou les portes de la
ville, maintenant grandes ouvertes. Ils arrivaient à pied ou à cheval. Escartille
ne sentait plus ses jambes. Il tourna enfin à l’angle de la rue des Frères et
vit l’enseigne de l’auberge danser devant lui. Il crut sa mort imminente.
    Je ne veux pas mourir, mon Dieu ! hurla-t-il en lui-même. Je ne veux pas mourir !
    Les routiers attaquaient maintenant les
maisons.

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