L'Église de Satan
arcades de
ces portes monumentales. Oui, mon cher Antoine, quel plaisir d’être enfin là où
ma volonté ne cessait de m’appeler !
Je te remercie de m’avoir envoyé, avec la
suite de ton récit, ces quelques passages de l’œuvre originale. Senhors, so
fo en estiu, cant l’iverns se declina, Que reven lo dos temps e torna la câlina ;
E fo coms de Montfort de l’ostejar s’aizina, Al castel de Menerba, qu’es lai
ves la marina, Mes lo setge entorn, c’aitals es sa covina. Comme cette
vieille langue occitane fleure bon les saisons de lumière ! Je comprends
qu’elle enflamme l’antre où tu te trouves encore. Il est toujours saisissant de
percer les secrets d’une langue disparue – ou, à tout le moins, qui n’a plus d’autre
vertu que celle de nous rappeler à la mémoire du passé. Après ta dernière
lettre, j’ai beaucoup réfléchi à la fascination exercée par ces endroits. En l’occurrence,
ici, c’est la beauté de la révolte et la complexité des enjeux de cette période
qui, je pense, attirent les gens comme moi. On croit y trouver quelque vérité
sur soi-même : voilà qui est très troublant. Il en va ainsi d’Escartille à
Béziers. Quelle force d’âme pour ces populations, soudain emportées dans la
tourmente ! J’y décèle quelque chose de profondément humain. Lorsque je
regarde ce qu’il nous reste aujourd’hui de ces fois vibrantes, engageant la
totalité de l’être, et des inextricables contradictions qui viennent s’y mêler,
je ne puis m’empêcher de penser que notre époque est bien pauvre en réflexion. Il
faudra, un jour, qu’une plume alerte, voltairienne, se décide à faire le procès
de cet Occident infatué de lui-même, qui oublie la source des richesses dont il
se gargarise et la manière dont il les a conquises. Par bonheur, il semble
avoir vaincu les fanatismes et encore, pas totalement ; nous avons inventé
la tolérance et la laïcité à force de combats, et d’autres batailles restent à
mener. Nous voilà libres comme jamais, débarrassés de l’ombre tutélaire des
dieux ! et saisis pourtant de nouveaux vertiges, en quête de pères
nouveaux, de certitudes intangibles dont nous nous apercevons, peu à peu, qu’elles
n’existent plus, qu’elles ne peuvent plus exister, en tout cas, sous
leurs formes anciennes. Partout, encore, les guerres continuent. Nous sortons à
peine d’un siècle qui a su réinventer l’absolu de la barbarie. Quand
saurons-nous réinventer l’absolu de la fraternité ? Combien de temps tout
cela doit-il durer ?
Ah, Antoine ! Toi et moi sommes des
humanistes en perdition, nourris du sein d’un judéo-christianisme qui fut
longtemps le terreau de nos civilisations ; nos combats sont d’arrière-garde !
Mais les frontières s’abolissent, il est tant de croyances, de rêves que nous
ne pouvons plus ignorer ! Peut-être la rencontre de ces rêves sera-t-elle
notre salut définitif.
J’ai compris ce que tu m’as soufflé la
dernière fois. Y a-t-il un motif suffisant pour autoriser une telle horreur ? Cet homme qui se dirige vers Montségur, dont l’identité risque de nous
demeurer à jamais inconnue. Ce chevalier semble jaillir de nulle part, héraut d’une
cause improbable ; il ne porte aucun des signes distinctifs de la
chevalerie occitane ou française. Le poète paraît suggérer qu’il vient de Terre
Sainte, il est sans doute chrétien, mais a la couleur de peau d’un Maure. Qu’emporte-t-il
à Montségur ? Quel est ce secret qu’il semble garder jalousement, et qui
intrigue notre troubadour ? S’agit-il d’un objet, qu’il porterait dans sa
besace noire, ou d’une quelconque vérité qu’il lui brûle de transmettre ? Cela
n’a pas manqué de stimuler ma réflexion ; et voilà une indication de plus qu’il s’est bien passé quelque chose, dont l’Histoire, en refermant
furieusement son couvercle, nous a sans doute privés.
Une idée singulière m’est venue : s’il
fallait prendre un peu de hauteur ? Si le poète lui-même nous cachait ce
quelque chose ? S’il avait, au-delà du chaos de ces événements disparates,
une intention précise, une seconde vue ? Tu penses, et je te rejoins
là-dessus, que le problème est moins d’ordre politique que théologique. Tu te
demandes pourquoi ces aventures mouvementées se sont retrouvées en enfer, et
voici que tombe entre tes mains, grâce à ton étonnant archiviste, ce Livre
des Deux Principes, où se profile non
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