L'Église de Satan
quelque chose aux
tactiques militaires, troubadour ? Si tu te trompes… Carcassonne pourrait
bien être leur prochaine destination. Ton pari est risqué, le sais-tu ?
Escartille porta une main à son front en
gémissant. Puis il serra le poing.
— Je n’ai pas le choix. Il me faut un
asile digne de ce nom, d’où je puisse repartir dès qu’il me sera possible. J’arriverai
à Carcassonne avant eux. Ils sont des milliers et je suis seul. Je serai plus
rapide. Je n’ai pas le choix.
Le chevalier regarda encore le jeune
troubadour et son enfant.
— Pardonne-moi, mon ami… Mais je ne puis
t’être d’aucun secours. Ma mission est immense et nous dépasse tous. Elle ne
souffre aucun délai. Elle est plus importante que toi, elle l’est plus que
moi-même et que le sort de cette ville tout entière. J’aurais aimé que les
choses soient autrement… mais je ne puis rien pour toi.
Escartille retomba en arrière, mort de fatigue,
Aimery contre lui.
— Eh bien, dit encore le cavalier, bonne
chance, troubadour.
Il donna du talon et tourna les rênes de son
cheval dans un bruit de sabots, avant de lancer un « Adieu, donc ! »
à Escartille.
Et il partit vers Montségur.
Irai-je encore
dans la gueule du loup ?
Pour vous, ma Dame ? Pour toi ?
Escartille jura, pleura, puis sombra dans un
profond sommeil.
Le cavalier, longtemps, occupa son esprit.
Puis il vit un château, immense et noir, juché
sur un pic de montagne.
La silhouette de ce sombre édifice, perdu au
milieu des brumes, lui était vaguement familière.
Et le Diable, ce Diable qu’il avait vu à
Béziers – il était là, le Maître du Monde, continuant de ricaner sur sa flèche.
7 L’énigme du chevalier ________________________ Juin 2000
Lettre de Philippe Poussin à Antoine Desclaibes.
Montségur, le 28 juin 2000.
« Cher Antoine,
J’y suis ! Les fouilles commencent.
Acheminer notre matériel n’a pas été de tout
repos ; le pech est toujours aussi inaccessible. Il ne se passe pas
une minute sans que je songe à tous les événements qui se sont succédé dans
cette région, maintenant que je me retrouve enfin au milieu de ces ruines. À l’heure
où je t’écris, je suis exactement au cœur du château. Il n’a de voûtes que ce
ciel de juin qui nous assomme. Il fait déjà trente degrés à l’ombre et le
soleil n’est pas encore à son zénith. J’ai recouvert ma tête d’une vieille
chemise qui me donne l’air d’un drôle de Bédouin perdu au sommet de sa dune. J’ai
fait bonne chère hier soir pour fêter le début de nos travaux : foie gras
au jus d’abricot, cassoulet à la mode régionale, le tout arrosé d’un bon rouge
des Corbières…
Heureusement, ici, c’est déjà la montagne. Entre
ces amoncellements de pierres grises, dans ce qui fut autrefois la cour du
château, aujourd’hui envahie par les herbes, il me semble voir les cinq cents
personnes qui, attendant la fin, arpentèrent le castrum désigné pour l’hallali.
J’entends bruire la population occitane, je domine ces villages logés au creux
des vallées… Hors du château, nous bénéficions d’un panorama incomparable sur
le paysage alentour. Il donne le vertige. Je me suis assis tout à l’heure de l’autre
côté, sur cette excroissance rocheuse qui semble s’échapper du pic, et où, autrefois,
fut installée la barbacane. Devant moi, à quelques mètres, la falaise plonge
soudain vers les profondeurs. Où que l’on se tourne, le sentiment est le même :
celui d’être coupé du reste du monde, dans un endroit vers lequel convergent
les faisceaux d’un maillage compliqué. Montségur semble l’ambassadeur d’une
humanité tourmentée, cherchant un Dieu qu’elle interroge toujours sans réponse,
et dont elle ne cesse d’implorer la grâce.
La carte de la région renforce cette
impression ; Quéribus, Peyrepertuse, Lastours, Cabaret, Termes, au loin
les cités de Toulouse, Carcassonne, Foix et Béziers, au sud les Pyrénées et la
frontière espagnole : Montségur est au cœur de cette toile vibrante de
résonances. Non loin de moi, un escalier aux marches étroites, qui menait jadis
au chemin de garde, s’élève vers le bleu du ciel et s’interrompt soudain, à la
lisière de la paroi ; il ne conduit nulle part et pourtant, il est aisé de
s’imaginer combien de fois il a dû être monté et descendu, comme il est aisé de
s’imaginer les hommes, soldats ou petites gens, qui franchirent les
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