L'Église de Satan
ce qui était en train de se
passer.
Senhors, esta canso es faita d’aital guia
Com sela d’Antiocha et ayssi’s versifia
E s’a tot aital so, qui diire lo sabia
« Messeigneurs !
Cette Chanson est faite sur le modèle
de la Chanson d’Antioche, elle est versifiée de la même manière
et composée sur le même air, pour qui sait la réciter. »
Le Livre de Vie – n’était-ce pas celui que
l’on trouvait au centre du paradis ? Cet arbre dont le feuillage était
autant de lettres composant un alphabet sans fin, un texte sans cesse
recommencé, qui englobait le monde. L’écriture du troubadour serait le reflet
de cette image. Ce serait le poème tout entier qui, avec ses entrelacs colorés,
sa calligraphie aussi libre que minutieuse, ses laisses successives et
multicolores, évoquerait une fleur, un bouquet, un arbre, un buisson ardent !
Escartille se retrouva bientôt avec une grande quantité de rouleaux, qu’il
glissait les uns après les autres dans sa besace.
Durant tout ce temps, Léonie essayait de le
distraire comme elle le pouvait.
— Montrez-moi donc comment vous faites
cela, dit-elle au troubadour en lui tendant Aimery.
Escartille allongea l’enfant et lui ôta ses
langes sans pouvoir refréner une grimace.
— Ma foi, c’est toujours plus puant. Est-ce
signe qu’il reprend vie ?
Léonie regarda le troubadour s’évertuer à
changer les langes. Escartille avait procédé maintes fois à cette redoutable opération,
mais toujours à sa manière. Il enroulait devant et derrière, pliait à gauche et
à droite, sans trop se soucier du reste, tant que le linge tenait et que tout
cela se soldait par un nœud bien serré. Être soudain sous les yeux attentifs de
Léonie le rendait nerveux. Elle rit en regardant ses mains se débattre l’une
par-dessus l’autre. Aimery, lui aussi, souriait.
— C’est cela, moquez-vous, dit Escartille.
Ce n’est pas une saine occupation pour un homme !
— Ah ? dit Léonie. Vous préférez
sans doute des guerres plus sérieuses… Mais allons ! Si vous devez encore
être seul un moment avec cet enfant, il faudra bien que vous sachiez vous en
occuper. À ce propos…
Léonie leva les yeux vers le troubadour.
— Qui est la mère de ce petit ?
Escartille fronça les sourcils. Une lueur de
tristesse passa dans son regard.
Léonie baissa le visage.
— Est-ce… cette Louve dont vous m’avez
parlé, et que vous recherchez tant ?
— Oh… C’est une longue histoire, dit Escartille.
Ils se turent quelques secondes.
— Je dois la retrouver, répéta-t-il.
Léonie comprit que le troubadour ne souhaitait
pas aborder ce sujet davantage. Elle sentait qu’il brûlait de laisser libre
cours à son émotion et de se jeter au-dehors, séance tenante. Elle eut un
nouvel éclat de rire et se pencha vers l’enfant.
— Laissez-moi faire ! dit-elle. Je
vais vous montrer.
Escartille recula d’un pas et la regarda
langer avec art tandis qu’elle continuait :
— Ce qu’il faudrait à cet enfant, c’est
un sain gouverneur. Diable ! N’avez-vous pas songé à le confier à quelqu’un ?
Comptez-vous faire son éducation seulement en chansons ?… Il lui faudrait
un tuteur, assurément. Et il lui faudrait…
Elle baissa d’un ton, si bien qu’Escartille n’entendit
pas la fin de sa phrase.
— Que dites-vous ? demanda-t-il.
— Rien, dit Léonie. Rien.
Elle tourna brièvement vers lui son joli
minois. Il crut à son tour y déceler une pointe de tristesse ; puis Léonie
retrouva le sourire et se pencha encore sur l’enfant, frottant son nez contre
celui du bébé.
Il lui faudrait une véritable mère, songea-t-elle.
Chaque jour, Léonie informait Escartille
des batailles qui se succédaient à l’extérieur.
Un matin, elle entra dans la chambre avec une
grande précipitation et s’écria :
— Je l’ai vu, Escartille ! Il est là !
— Qui donc, Léonie ? Qui est là ?
Elle avait un sourire angélique.
— Le roi, messire ! Le roi lui-même !
— Le roi ! Mais quel roi ? interrogea
encore Escartille.
— Le roi d’Aragon ! s’écria Léonie.
Escartille était dans son lit. Il se dressa
sur son séant.
— Comment ? Que dites-vous ?
— Le roi est là ! Il a rencontré le
comte de Toulouse ! Notre cher comte est revenu, il a fait tendre son
riche pavillon dans un pré, au bord de l’eau, auprès d’un bois touffu. Et c’est
là qu’il a retrouvé le roi, à ce que l’on
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