L'Église de Satan
m’a dit. Ils sont revenus de Catalogne
et d’Aragon, pour nous sauver !
Escartille trépignait à son tour.
— Le roi ? Mais où est-il ?
— Ne l’entendez-vous pas, messire ?
Léonie aida le troubadour à se lever ; elle
l’attira vers l’embrasure de la fenêtre qui dominait la ville et tendit un index
tremblant :
— Là. Il est là !
Et Escartille le vit.
Il était entré dans Carcassonne. Accompagné de
cent chevaliers, Pierre d’Aragon avait rencontré les croisés la veille au soir,
alors qu’ils étaient en train de dîner autour de viandes rôties. Quand les seigneurs
l’avaient vu s’approcher, leur ton avait changé. Ce jour-là, c’était en maître
de l’Occitanie que Pierre II se présentait aux légats. Car c’était bien
lui que l’écheveau complexe des allégeances du Midi désignait comme le souverain
ultime de la terre occitane, par-delà les frontières pyrénéennes. Trencavel et
le comte de Toulouse eux-mêmes ne lui devaient-ils pas hommage ? Et voici
que ce roi que l’on n’attendait plus se présentait ici en libérateur ! Dans
le camp occitan, on l’accueillait comme tel. Les liens avec l’Aragon s’étaient
tissés depuis des siècles : l’une des sœurs du roi était l’épouse de
Raymond VI et l’autre, Sancie, était mariée au futur Raymond VII, encore
tout jeune. Pierre II s’avançait maintenant face aux chevaliers de l’ost. Oui,
c’était soudain un roi puissant que les croisés trouvaient devant eux, et qui
plus est, un roi catholique, en première ligne de la lutte contre les Maures ;
depuis de longues années, le pape Innocent III lui accordait toute son
attention. Les princes et les prélats, Arnaud-Amaury en tête, étaient venus le
saluer et lui dire : Soyez le bienvenu. Les rues de Carcassonne
étaient en liesse. Pierre était entré avec seulement trois de ses compagnons ;
dès qu’il l’avait su, Trencavel s’était porté à sa rencontre avec ses gens ;
la population marchait derrière les chevaux, baisait les pieds du monarque, jetait
des vivats, lançait des fleurs ! La joie était immense, car tous ces
habitants étaient ses vassaux et ses amis. Le roi n’était pas venu pour
batailler, il n’avait pas avec lui de forces suffisantes ; mais il serait
sans nul doute un allié précieux pour trouver une issue à la guerre.
— Vous vouliez partir en Aragon ? dit
Léonie. Regardez : c’est l’Aragon qui vient à nous.
— Descendons ! dit Escartille. Descendons
maintenant !
— Non, restez ici ! Je vous
raconterai. Je vais y aller.
Elle se dirigeait déjà vers la porte.
— Je vous dirai ce qui se passe, je vous
raconterai tout !
Escartille resta seul un long moment. Lorsque,
enfin, Léonie revint, des étoiles brillaient dans ses yeux. Ses joues étaient
roses et enfiévrées. Elle respirait la joie et frappait dans ses mains de
soulagement.
— Oh, Escartille ! J’ai vu l’un de
nos soldats qui a assisté à l’entretien ; nous ne parlons plus que de cela
en bas. Le roi a d’abord écouté, oui, il a longuement écouté notre cher vicomte,
qui lui a raconté ce que les légats avaient fait à Béziers, comment ils avaient
tout détruit sur leur passage et passé tout le monde au fil de l’épée. Le récit
que le vicomte a fait de cet épisode a profondément ému tous ceux qui se
trouvaient là ; et le roi n’était pas en reste. Lorsque le vicomte a
terminé, le roi a parlé à son tour. Voilà ce qu’il dit alors : « Baron,
je vous ai bien entendu ; mais il ne faut pas vous plaindre de ce qui est
advenu. Ne vous avais-je pas moi-même invité à bannir les hérétiques ? Vous
avez continué à les accepter sous votre toit et à les laisser se réunir et
professer leurs erreurs insensées. Mais je ne puis vous voir en proie à de si
vifs tourments sans réagir. Vous cherchez un remède aux angoisses qui vous
accablent ? Il n’est guère d’autre solution que de s’entendre avec les
Français ; vous vous pensez à l’abri à l’intérieur de vos murailles, mais
ne vous y trompez pas, vicomte : leur armée est nombreuse, j’ai vu ces
hommes et leur détermination inébranlable. Votre ville abrite de nombreuses
familles, des femmes et des enfants. Il vous faut conclure un accord. Pour vous,
je suis prêt à jouer ce rôle, car ce qui se passe en ce pays m’afflige et
éveille en moi une douloureuse compassion. »
Léonie s’était assise sur un tabouret ;
Weitere Kostenlose Bücher