L'Église de Satan
présent l’écho
auprès de lui, mais il ne supportait pas l’idée que ces souffrances aient été
infligées aux siens sans qu’il ait rien pu tenter. On avait éradiqué la
population de Béziers, en même temps que la cité elle-même – le second fief de
son domaine ! Lorsque le troubadour en eut fini, il réunit ses dernières
forces pour lui faire part de son désir de retrouver Louve et Don Antonio de
Bigorre. Il eut bien une vague honte, en cet instant, de parler de ses petites
aventures à celui qui n’avait plus d’autre choix que de faire face à la
déferlante annoncée ; même en cette situation critique, Escartille ne
pouvait s’empêcher d’admirer la stature et la noblesse du jeune homme qui, bien
qu’il fut à peine plus âgé que lui, s’apprêtait à braver la tempête. Mais de
son côté, Trencavel ne pouvait reprocher au troubadour l’effondrement qu’il
percevait chez lui, et qu’il ne comprenait que trop.
— Don Antonio de Bigorre ?… dit
Trencavel. Oui, je le connais.
Il mit une main sur l’épaule d’Escartille. L’œil
du troubadour s’alluma tandis que son cœur était soudain transporté d’un nouvel
espoir.
— Il est reparti il y a quelques jours
avec sa fille, et d’autres Aragonais, dit Trencavel.
Et, lisant la déception mortelle qui
affligeait soudain le visage du troubadour, il ajouta :
— Je suis désolé.
— Reparti, répéta Escartille.
Cette fois, la tension du troubadour était à
son comble. Il vacilla encore, prêt à s’effondrer. Il n’avait plus guère la
force de dire quoi que ce soit, à présent que tous ses espoirs étaient de
nouveau ruinés.
Revenant à ses préoccupations immédiates, Trencavel
se tourna vers ses conseillers.
Le ballet de la conversation, tendu, recommençait
de plus belle.
— Ce troubadour nous parle des Aragonais,
dit l’un d’eux, qui se nommait Pierre-Roger de Cabaret. Ne peut-on rappeler
Pierre II à nous et le faire intervenir en notre faveur ?
— Il ne peut rien pour nous, répliqua le
vicomte. Il est tenu au pape par son couronnement catholique !
Il passa la main sur ses yeux en soupirant.
— Vingt mille personnes. Ils ont massacré
vingt mille personnes ! Mais comment ont-ils pu !
Trencavel frappa du poing sur la table et
poussa un juron, avant de lever les bras, dans un froissement de cape. Il
enrageait, autant contre l’Église que contre lui-même.
— Et c’est mon oncle, mon propre parent, qui
épouse la cause ennemie ! Qu’il ait voulu gagner du temps, qu’il ait
cherché à s’attirer les faveurs du pape en faisant mine de vouloir chasser les
hérétiques d’Occitanie, c’est une chose. Mais qu’il force le zèle jusqu’à
prendre les armes contre nous !… Avait-il besoin d’aller aussi loin pour
donner le change ? Nous voilà isolés, et c’est toute la chrétienté qui
marche sur nous ! Au nom du ciel, pourquoi ne nous laissent-il pas en paix !
— Il faut négocier, dit Pierre de Termes,
l’un de ses appuis les plus fidèles. Votre oncle est de retour à Toulouse, on
ne sait encore ce qu’il fera. Rien n’est joué.
Pierre se tenait à l’autre bout de la table. L’air
chafouin, il était enveloppé dans un long manteau noir ; seul son drôle de
nez crochu dépassait de son capuchon.
Trencavel se tourna vers lui.
— Depuis que votre oncle s’est retourné
contre nous, poursuivit le baron, vous êtes aux yeux de Rome la première tête à
faire tomber. Carcassonne est votre capitale, il faudra la défendre jusqu’à la
mort, ou trouver les moyens de négocier avec Arnaud-Amaury une sortie honorable
à ce conflit. Nous avons déjà tenté de convaincre les légats à Montpellier. Pourquoi
ne pas essayer de nouveau ? Après tout, avez-vous jamais agi contre les
intérêts de l’Église ? Jamais ! Voilà ce qu’il faudra leur dire.
Trencavel éclata d’un rire amer.
— Ah, la belle affaire ! Et vous
croyez que ce discours leur fera baisser les armes, après ce qui vient de se
passer ? Alors qu’ils sont convaincus que Dieu soutient leur bras ? Vous
pensez qu’ils rentreront chez eux sans avoir davantage fait montre de leur
force, une force qu’ils ont mis un an à rassembler, dans le seul but de nous
asservir ?
— Alors, envoyons nos seigneurs battre la
campagne ! proposa un autre, qui se nommait Antoine de Jonc. Réveillons
les consuls de chaque bourg, et cette fois, préparons une véritable défense, à
la mesure du
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